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assez terne, où, en se félicitant de voir réunis autour du trône les élus de la nation, il leur rappelait que l’ordre n’était pas moins nécessaire que la liberté, un formidable hourrah éclata du côté droit de la vaste salle, dans les rangs des hauts dignitaires, des généraux, des membres du Conseil de l’Empire, pendant que, à la gauche du trône, les nouveaux élus, et parmi eux jusqu’aux paysans, demeuraient presque tous muets et raides, sans même s’incliner, sur le passage du Tsar, à la sortie du cortège impérial. Aux fonctionnaires et aux gens de Cour, cette attitude hautaine parut une provocation ; l’Empereur en fut sans doute froissé. Dès ce premier jour, avant sa première séance, le sort de la première Douma d’Empire était peut-être décidé ; en se retrouvant sur l’immense place du Palais d’Hiver, en face des escadrons de la Garde, plus d’un spectateur se demandait à quand la dissolution.

Le même jour, quelques heures plus tard, j’assistais au palais de Tauride à la première séance de la Douma. L’accueil fait par la capitale aux membres de l’assemblée, aux plus populaires surtout, n’était pas de nature à diminuer leur orgueil ou leur confiance. La foule massée aux abords du palais de Potemkine, transformé en Chambre législative, applaudissait bruyamment au passage les députés, les acclamant, les embrassant, les portant en triomphe jusqu’aux grilles du palais. Aux hourrahs populaires se mêlait le cri répété d’Amnistiia ! amnistiia ! C’était une de ces heures d’ivresse et d’enthousiasme, comme il ne s’en rencontre guère dans la vie des peuples qu’aux premiers jours des révolutions. Puis, peu à peu, l’exaltation tomba ; les déceptions surgirent. Si les séances de cette Douma sur laquelle la nation avait entassé tant d’espérances furent plus agitées et plus bruyantes que fécondes, la faute, il convient de le reconnaître, en fut en grande partie aux ministres qui se plurent à la laisser délibérer à vide, ne lui présentant presque aucun projet de loi, comptant sans doute ainsi l’user et la discréditer par son impuissance. L’acte le plus important de cette première Douma fut la discussion de l’adresse en réponse au discours du trône. Cette adresse fut comme une déclaration des droits où furent accumulées à dessein, en formules altières, toutes les revendications essentielles des différentes classes et des diverses nationalités du vaste Empire. Pour la comprendre, il la faut regarder comme une sorte de manifeste de la nation, une façon de mise en demeure à la couronne, ou encore comme une plate-forme électorale en vue d’élections