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tomber en morceaux, la Russie doit rester fidèle à son principe, fidèle à son histoire et à sa loi, c’est-à-dire au régime autocratique.

Ce raisonnement simpliste qui, après une si brève et incomplète expérience, conclut prématurément à la faillite de ce que les Russes aiment à nommer leur révolution, j’ai pu constater qu’on l’entend beaucoup moins en Russie qu’en France, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie. Avec ses apparences philosophiques, il n’a guère pour lui, en Russie, que les moins philosophes de tous les Russes, les partis d’extrême droite, les hommes défians de toutes les idées nouvelles et de toutes les influences occidentales, ceux qui, en leur répulsion systématique pour tout ce qui semble venir de l’étranger, se complaisent à s’intituler les « hommes russes, les vrais Russes. » Ils repoussent tout régime constitutionnel, comme leurs pères repoussaient l’émancipation des serfs, parce qu’ils sont opposés à toute innovation et à toute mesure d’apparence libérale.

Tels ne sont pas, il est bon d’y insister, la plupart des Russes, même dans les classes les plus conservatrices, même parmi les hauts fonctionnaires, parmi les conseillers ou les ministres du Tsar. S’ils ne disent pas tous, avec les libéraux, que, en Russie comme ailleurs, le régime autocratique est devenu un anachronisme ; s’ils ne font pas retomber sur lui toutes les déceptions de la politique et tous les échecs des armes russes, la plupart reconnaissent que ce régime a fait son temps, qu’à vouloir le restaurer intégralement, en eût-on aujourd’hui la force, on risquerait à la longue, à courte échéance peut-être, une révolution. C’est même parce qu’ils ont ce sentiment que, en dissolvant les deux premières Doumas, les ministres du Tsar ont obtenu de lui qu’il en convoquât immédiatement une troisième, et, s’il est permis de douter de leur clairvoyance, il serait injuste de suspecter la bonne foi de l’Empereur ou la loyauté de ses conseillers. Si défians qu’ils soient, par principe ou par éducation, des nouveautés constitutionnelles, le Tsar et ses ministres comprennent qu’après les solennels manifestes impériaux des trois dernières années, après avoir, par deux fois, réuni les représentans de la nation en promettant de les associer à la confection des lois, on ne peut en revenir brutalement à ce que les Russes appellent déjà l’ancien régime. L’absolutisme n’est pas un port où, par crainte des tempêtes de la révolution, la