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émotions de leur propre cœur la matière de leurs chants les plus beaux. En écrivant Jocelyn (1831-1836) il était tout plein de sa douleur récente. La « mort de la mère » occupe toute une époque de son poème, la septième. Il y a dans Jocelyn des funérailles, celles de Laurence. En les décrivant, Lamartine ne s’est pas fait scrupule de mêler à ses souvenirs les traits que lui fournissait son imagination :


Quatre hommes des chalets sur des branches de saules,
Étaient venus chercher le corps sur leurs épaules ;
Nous partîmes la nuit, eux, un vieux fluide et moi…
C’était une des nuits sauvages de novembre.


Les grands créateurs ne savent plus bien où ils commencent à imaginer, où ils finissent de se souvenir. Les créations de leur esprit égalent en intensité les spectacles de la vie réelle. Est-il impossible que Lamartine venant, après vingt-huit années, à raconter les funérailles de sa mère, les ait revues à travers la transcription poétique qu’il en avait lui-même donnée ?


COMMENT FURENT COMPOSÉES LES HARMONIES

C’est à la Toscane que nous devons les Harmonies. Dès les premiers temps de son séjour, et désespérant de mener à bien, au milieu des occupations de sa charge, le grand poème aux perspectives décevantes, Lamartine commence une série de pièces lyriques, toutes pénétrées d’un même sentiment, et accordées à l’état qui est alors celui de son âme. Ce sont les Méditations encore, mais transportées dans un autre cadre de nature, et baignées d’une autre atmosphère morale. Le génie est le même, mais les circonstances et le milieu extérieur et intérieur ont changé. Les deux premiers recueils lyriques de Lamartine enveloppés de nos brumes d’automne, ou réchauffés par les brises voluptueuses de Naples, et qui contiennent des pièces d’inspirations et d’époques si différentes, témoignent d’une conscience troublée et d’une destinée incertaine : au contraire, on sent partout l’unité de dessein à travers ces Harmonies que le poète écrivait dans l’air pur de Toscane et dans la paix de son âme.

Les premières semblent avoir été inspirées par des visites aux églises. Lamartine aimait ces églises d’Italie et les préférait à nos cathédrales. On sait quelle avait été, à Rome, son