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Saint-Point. Dans l’Épilogue du Manuscrit de ma mère, rédigé par Lamartine en 1858 et qui ne parut qu’en 1871. Lamartine écrit : » Les paysans de Milly devaient venir un à un et sans bruit emporter sur leurs épaules, à travers quatre heures de marche, le corps de leur dame. A minuit, nous nous mîmes en route à pied, dans une couche profonde de neige glacée. » Il est très curieux de confronter avec ce récit les billets écrits de Saint-Point par Lamartine à sa femme.


Dimanche soir.

Je viens d’arriver sans fatigue. Mais les chemins seraient impraticables pour des chevaux. J’ai organisé des bœufs depuis Milly jusqu’ici. Le corps sera déposé dans la chapelle souterraine jusqu’à ce que la nôtre soit faite…

Je n’assisterai pas au moment même dans l’église.

Mais je reste ici jusqu’à mercredi matin. Ne te tourmente pas. C’est une consolation immense pour moi.

J’envoie cette lettre à Milly pour que les vignerons te la remettent demain soir.


Mardi, à midi.

Je te remercie. J’ai reçu ta lettre. La triste et cependant consolante cérémonie a eu lieu avec toutes les convenances et l’assistance de tout le pays. Le corps est déposé dans la chapelle souterraine. J’ai versé bien des larmes, mais au moins elles ne sont pas accompagnées d’horreur comme sur la terre de Mâcon.


Dans ces billets, écrits sur l’heure, il n’est pas fait allusion à cette circonstance pourtant très frappante : Lamartine suivant, la nuit, le cercueil porté à bras d’hommes. Il semble plutôt que, ne pouvant supporter la vue du cercueil maternel, même au moment de la descente en chapelle, Lamartine soit allé à Saint-Point et y ait attendu la dépouille mortelle, transportée par un de ces attelages de bœufs très usités dans la région[1].

Comment donc expliquer l’erreur de souvenir que contient le récit de l’Epilogue ?

Mais Lamartine est de ces poètes qui prennent dans les

  1. Cette conjecture s’accorde avec ce passage de la lettre à Virieu : « Je t’écris du fond de cette solitude où je suis venu me recueillir quatre ou cinq jours, absolument seul, la nuit où j’y fis apporter la dépouille, la relique de ce que j’aimais et regretterai le plus sur la terre… Je m’en vais demain comme je suis venu, à pied, par un pied de neige sur nos montagnes. » Saint-Point, 24 décembre. Corr. III, 183.