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Paris, mercredi.

Ce que tu me dis de maman, ma chère Marianne, m’inquiète, ou du moins m’afflige beaucoup. Tiens-moi bien au courant, et dis-moi tout de suite s’il y a inquiétude ou non. Je laisserais tout et partirais à l’instant…

Rien de nouveau ici. Courses de visites, affaires, libraires, Académie, politique, amitiés, connaissances sans fin.

Je dîne chez le prince de Polignac ce soir. Je vois les Virieu, Raigecourt, Vignet, etc.

L.

Du 19 au matin. — Je rouvre ma lettre pour te dire que le prince de Polignac me parle d’aller ministre en Grèce. N’en parle qu’à la famille : cela nous arrangerait. J’y ai dîné hier et j’y dîne aujourd’hui tête à tête. La princesse me plaît beaucoup et me comble. Adieu ! J’attends le courrier pour des nouvelles de maman. Dis-moi le vrai. Voici aussi un mot pour maman où je lui prête un peu d’argent. N’en dis rien.


Jeudi, à deux heures.

J’apprends le triste état de ma mère par Virieu. Je redoute tout. Je pars à l’instant. Envoie-moi quelqu’un à Chalon à l’auberge du Duc de Bordeaux pour m’apprendre plus tôt ou la guérison, ou… Je ne puis arriver ainsi sans savoir. Juge comment je suis.

— Je ne puis avoir des chevaux avant la nuit. La lettre ira plus vite que moi.


Jeudi, à trois heures.

On vient de me dire la nouvelle affreuse. Je fuis tout. Ne m’envoie personne. J’irai. Mais, grand Dieu ! arriver là ! Ah ! je n’irai pas vite !

Tranquillise-toi. Je remets tout en Dieu ! Ah ! mon pauvre père !


Chalon, dimanche au soir.

Nous sommes ici, ma chère Marianne ; mais je ne puis arriver de jour dans cette maison si vide d’elle. Nous arriverons entre cinq et six heures… Je me résigne à la céleste volonté. Une telle fin, quoique si cruelle pour notre avenir, est si belle, qu’elle donne de la sérénité et du courage pour la supporter. Je pense à mon père, à toi, à Julia, et je pense qu’elle veut que je vous reporte tous les sentimens que je lui portais sur la terre, hors ceux qui lui sont consacrés dans le ciel. Que tu as été admirable ! Une j’ai été heureux au moins d’être remplacé par un ange comme toi ! Adieu. Adieu Amédée a été bien bon pour moi, ainsi que mes amis de Paris. Amédée est avec moi.


Un mois après, pour exaucer un vœu de la morte, Lamartine la fit transporter de Milly où elle avait été inhumée, à