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Voici le Journal de Paris d’hier. J’ignore qui parle ainsi ; mais c’est trop bien parlé ; cela me nuira beaucoup pour l’Académie. J’aurais paré le coup, si je l’avais su. Envoie-le à mon père et à mon oncle.


On ne voit pas qu’il y eût là de coup à parer. L’article publié dans le Journal de Paris du 28 novembre, sous le titre d’ « Élections académiques » était au contraire rédigé avec une grande habileté. L’auteur anonyme énumérant les candidats, Lamartine, Droz, Pongerville, Guiraud, se défendait de discuter « le mérite relatif des personnes ; » il préférait indiquer « un aperçu plus élevé » qui, d’après lui, devait exercer une influence décisive sur les suffrages de l’Académie. Que reproche-t-on surtout à notre époque, se demandait-il ? De n’avoir pas de poètes. « Répondons à ce mot par quelques noms, par un surtout, celui de M. de Lamartine, ou plutôt laissons à l’Académie l’honneur de répondre aux ennemis de notre gloire littéraire par l’adoption de ce nom éminemment poétique qui réunit seul tous les genres de mérite qu’on s’obstinait à contester à nos poètes modernes. Ce n’est donc pas ici la supériorité relative d’un candidat sur ses concurrens que nous cherchons à faire triompher, mais la nouveauté du genre de poésie dont notre langue lui est redevable et qui lui mérite une sorte de reconnaissance de la part de tous les hommes intéressés à l’honneur des lettres françaises. » Il était difficile de mieux préciser le point du débat. Lamartine avait-il rapporté à la France cette poésie que, depuis le temps de Racine, elle ne connaissait plus ? Et dans ce cas l’Académie ne se devait-elle pas à elle-même d’accueillir ce poète qui lui manquait ? C’était toute la question.

On sait quelle fut la réponse : Droz fut élu. Lacretelle n’était pas le coupable : l’Académie était résolue, en tout état de cause, à faire attendre l’auteur du Lac et du Crucifix. Il y a une heure académique : elle n’avait pas sonné pour Lamartine. Celui-ci, qui ne connaissait pas les usages, fut profondément ulcéré. Une fois entré dans la lutte, il en avait bientôt ressenti la fièvre. Ce qu’il éprouva, à la suite de son échec, ce fut moins le dépit de la vanité blessée que l’emportement de la colère. On trouvera que son irritation se traduit en termes un peu vifs : « La ligue de la médiocrité contre le talent… Une coterie d’imbéciles menés par quatre intrigans, etc. » Mais ces rudesses de langage sont habituelles à Lamartine dans l’intimité. Il avait été humilié : il