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autres qui mènent tout contre moi pour un M. Droz ou, à son défaut, pour quelque autre. Ils prétendent que je viens trop tard : c’est faux. La plupart des membres que j’ai vus sont pour moi individuellement, mais en masse ils ne répondent pas d’eux ; ils sont joués et dominés par ces trois ou quatre intrigans actifs et rusés. J’ai été très accueilli par M. Lainé, M. Daru, M. Michaud, M. Pastoret le père, et bien d’autres. J’aurais, si l’on allait aux voix séparément, 25 voix sur 30. Mais malgré cela je ne réussirai pas, à ce qu’ils assurent, si je ne triomphe pas de cette coterie. Je ne néglige rien, tu peux être tranquille. Si je ne réussis pas, ce sera au destin à t’en prendre. Demain je recommence et ainsi de suite. On ne croit pas que la nomination ait lieu avant la fin du mois, le dernier peut-être. J’en enrage, car j’aimerais mieux que ce fût après-demain ; ils sont maintenant pris par le temps et confondus, ils vont se retourner à loisir contre moi. On voit qu’ils me détestent cordialement. Mme de Lacretelle me servira certainement mal. Mais en voilà assez. Adieu, soigne-toi bien, c’est l’essentiel. J’en ferai autant. Le jour va encore, les nuits sont tout de même : l’éveil à une heure et demie et accès de goutte à l’estomac et à la tête ; cela cédera, je pense, aux premiers froids. Je n’en puis plus de fatigue. Je viens encore d’écrire à M. de Lacretelle, pour l’embarrasser, que mon sort dépendait de sa voix. Je ne cesse d’agir et d’écrire. Ne parle à qui que ce soit de ces détails, ils reviendraient ici j’en suis sûr. Adieu, embrasse ma mère, la tienne, Julia. Comment êtes-vous ?


Lamartine avait pour lui les royalistes ultra et les romantiques. Les libéraux firent campagne contre lui. Il se persuada, — à tort, d’ailleurs, — que son pire ennemi était Lacretelle, l’historien, frère de celui qu’il voulait remplacer et qui, pendant l’été à Mâcon lui avait promis de soutenir sa candidature[1]. Son principal concurrent était Droz, naguère habitué de la société d’Auteuil. Les lettres suivantes nous montrent le candidat s’énervant de plus en plus parmi ses courses, démarches, combinaisons et pointages :


Paris, 11 au soir[2].

Mon cher ange. Dieu merci, j’ai ta lettre, ta mère est mieux, tout est donc bien là-bas ! Dis-lui que je suis désolé de la savoir malade et de n’y pas être !

Ici ma santé est exactement la même. Le jour de fièvre laisse toujours sa trace, mais j’ai à présent deux nuits bonnes contre une mauvaise. Je me soigne avec Alain[3] tout sagement. Je suis bien logé à sa portée, bien chauffé, bien servi quand je rentre, ce qui est rare. Quant aux affaires, hier

  1. Voyez, dans la Grande Revue du 15 mai 1905, la Première candidature de Lamartine à l’Académie française, par M. Pierre de Lacretelle.
  2. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  3. Le docteur Alain, celui-là même qui avait naguère tenu Lamartine au courant de la maladie de Mme Charles. Voyez notre édition des Lettres d’Elvire à Lamartine.