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Le jury offrait un agréable mélange de conditions et de professions diverses : un ci-devant marquis de Montflambert, à présent dénommé Dix-Août, le coiffeur Pigeot, Renaudin le luthier, un joaillier, un vinaigrier, un employé aux diligences. Il fallait répondre brièvement aux questions qui étaient posées. Les jurés, les juges eux-mêmes tournaient en dérision les paroles des accusés. Juges et jurés jouaient et buvaient, ils riaient et s’entretenaient avec le public.

Comme l’accusation demandait à Saint-Amand des explications sur un détail de l’administration des Fermes, celui-ci commença de les donner. Brusquement il fut interrompu par le président. Coffinhal lui faisait observer qu’ils étaient nombreux sur le banc des accusés et que si chacun d’eux avait la prétention de parler, on n’en finirait plus. Ils ne devaient répondre que par oui et par non.

Les quatre avocats d’office, parmi lesquels Chauveau-Lagarde, le défenseur de Marie-Antoinette, firent de leur mieux.

La question posée au jury était :

« A-t-il existé un complot contre le peuple français, tendant à favoriser par tous les moyens les ennemis de la France ?… »

Au reste, peu importait la question. Le ci-devant marquis de Montflambert, suivi du luthier, du vinaigrier, du coiffeur et de l’employé aux diligences, répondirent « oui » à l’unanimité. Ils auraient répondu « oui » à n’importe quoi. C’est ainsi que Lavoisier fut condamné à mort.

Dupin, le conventionnel qui s’était attaché avec le plus d’acharnement à la perte des fermiers généraux, dira lui-même dans la suite : « On devait leur présenter les différens chefs d’accusation, les discuter, leur mettre les pièces sous les yeux-, leur faire des interpellations ; rien de tout cela n’a été fait ; ils devaient être entendus, ils ne l’ont pas été. Ils ont été envoyés à la mort sans avoir été jugés. »

Si grande était la hâte que l’on mettait à leur couper la tête, que l’on ne prit même pas la peine de rédiger la déclaration du jury par écrit et de la faire signer aux jurés. Or, comme on le dira le jour où il s’agira de réviser ce procès : « Là où il n’y a point de déclaration de jury, il n’y a point de jugement. »

Les biens des condamnés étaient naturellement confisqués au profit de la République. Déjà les charrettes étaient à la porte, pour conduire les