Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présent qu’on les sentait vaincus : « Que j’aimerais à me trouver à l’hôtel des Fermes, écrit Hébert dans son Père Duchesne, à contempler autour du tapis vert ces grosses trognes de financiers ! » Il espère qu’on ne tardera pas à leur faire restituer l’or acquis par leurs « brigandages. » Marat, dans l’Ami du Peuple, s’acharnait plus particulièrement contre Lavoisier. « Je vous dénonce, écrivait-il, le coryphée des charlatans, sieur Lavoisier, fils d’un grippe-sol, apprenti chimiste, élève de l’agioteur genevois, fermier général. Ce petit monsieur, qui jouit de 150 000 livres de rente, n’a d’autre titre à la reconnaissance publique que d’avoir mis Paris dans une prison (Lavoisier était l’auteur du projet qui avait fait entourer Paris d’un mur d’enceinte pour faciliter la perception des octrois)… Plût au ciel que ce suppôt de la maltôte eût été lanterné ! » Aussi était-ce en vain que le Comité des poids et mesures, que le Comité des assignats et monnaies demandaient la mise en liberté de l’illustre savant.

Au reste, la surveillance qui entourait les prisonniers à l’hôtel des Fermes était très large. On ne craignait pas qu’ils s’échappassent. Selon le mot terrible d’un contemporain, « la haine publique faisait sentinelle autour d’eux. »

Le décret renvoyant les fermiers généraux devant le tribunal révolutionnaire fut rendu le 16 floréal an II (5 mai 1794). « Le soir même, à sept heures, écrit Delahante, je vis entrer dans les cours une troupe assez considérable de cavaliers ; une demi-heure après, la grande porte s’ouvrit de nouveau et quatre chariots couverts entrèrent et se rangèrent au pied du mur du bâtiment que nous habitions. » Les fermiers généraux furent placés dans les voitures qui se mirent en route, à nuit close. Les quatre chariots allaient l’un derrière l’autre, escortés par une double rangée de gendarmes à cheval. Des porteurs de torches éclairaient la marche.

A la Conciergerie, on mit les accusés dans des pièces dépourvues de lits et de chaises. Il leur fallut s’asseoir par terre. Quelques-uns d’entre eux furent placés dans la chambre même qu’avait occupée Marie-Antoinette. « Elle avait été autrefois tendue en papier par un détenu pour dettes, mais le papier avait été arraché, le jour même de l’arrivée de la Reine. » C’est là que, le lendemain, 6 mai 1794, les prisonniers se réunirent autour de deux grandes tables que l’on y avait dressées.

Telle était l’impatience où l’on était de faire tomber ces têtes