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auteurs de l’attentat. En fait de punition, La Morlière accepta des fermiers généraux une gratification de 20 000 livres. De temps à autre, le comte de Sartirane, ambassadeur sarde à Paris, rappelait au ministre des Affaires étrangères la promesse donnée. Mais celui-ci répondait que « l’on n’avait déjà que trop fait par l’envoi d’un ambassadeur extraordinaire et qu’une telle réparation devait tenir lieu de tout. »

Faut-il s’étonner que, à la suite de cette aventure, les sympathies de la cour de Sardaigne aient penché vers l’Angleterre au début de la longue et terrible guerre qui allait s’engager ?


IV. — LA FIN DES FERMIERS GÉNÉRAUX[1]

Il n’est pas douteux que l’émotion produite par les campagnes de Mandrin et par les complications qui en résultèrent, n’ait exercé de l’influence sur les pouvoirs publics. On constate en France, à partir de ce moment, parmi ceux qui dirigent l’Etat, des efforts souvent renouvelés pour mettre plus d’équité dans l’assiette et dans la levée des impôts. De cette époque, les remontrances des Cours souveraines, parlemens, Cours des aides, Cours des comptes, se succèdent sans interruption et s’expriment avec une énergie de plus en plus grande. Les écrits contre l’administration des Fermes se multiplient. En vain les fermiers généraux font-ils incarcérer à la Bastille l’avocat Darigrand, auteur de l’Anti-financier, et jeter au donjon de Vincennes le marquis de Mirabeau, pour avoir écrit la Théorie de l’impôt : l’impulsion est donnée, et il n’est plus de force capable d’en arrêter les effets. Les fermiers généraux font des sacrifices, renoncent à une partie de leurs bénéfices ; des ministres réformateurs, l’abbé Terray, Turgot, Necker, font disparaître plusieurs des abus les plus révoltans. Les fermiers généraux eux-mêmes, en gagnant des traditions, acquièrent, dans le courant du XVIIIe siècle, la probité, la distinction de manières et de sentimens, la valeur morale qui leur avaient fait défaut. C’est l’étape dont parlera M. Paul Bourget. « Il faut convenir, écrit Necker, qu’en général cette compagnie s’épure et qu’elle ne ressemble plus à ce qu’elle

  1. Les journaux contemporains et plus particulièrement le Moniteur. — Adr. Delahante, Une famille de finance au XVIIIe siècle, 2e éd., 1881, in-8o. — Ed. Grimaux, Lavoisier (1743-1794), 1888, in-8o. — II. Thirion, la Vie privée des Financiers au XVIIIe siècle, Paris, 1893, in-8o.