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affreux spectacle, les enfans des écoles. Il s’agissait de leur inspirer l’horreur du crime. C’était l’usage du temps.

À ce moment, écrit l’un des assistans, ses yeux commencèrent à paraître un peu égarés. Il dit en se tournant vers le Père jésuite :

— Mon père, ne m’abandonnez pas.

Mais le jésuite avait plus besoin d’être soutenu que Mandrin. Il pleurait comme une femme et finit par s’évanouir.

Le supplice de la roue avait été importé d’Allemagne au XVIe siècle. Le condamné était attaché, les bras étendus et les jambes écartées, sur deux morceaux de bois, disposés en croix de Saint-André, c’est-à-dire en forme d’X. Sur chaque traverse, on avait pratiqué des entailles profondes, particulièrement à l’endroit où devaient se trouver les genoux et les coudes du patient. Celui-ci y était solidement fixé ; puis le bourreau frappait à l’aide d’une lourde barre de fer, à tour de bras, de manière à briser les os des jambes, des bras et du bassin. Le supplicié ayant été rendu de la sorte suffisamment souple, on l’attachait, en lui repliant les bras et les jambes, sur une petite roue de carrosse, le dos posé à plat sur l’une des faces de la roue, qui était ensuite hissée, avec son fardeau pantelant, au haut d’un poteau élevé, de manière que le misérable y agonisait lentement, la face tournée vers le ciel, à regarder les vols de corbeaux guettant son dernier soupir.

Cependant le Père Gasparini, revenu à lui, exhortait le contrebandier. Il disait tout haut :

— Voilà un homme qui va mourir en bon chrétien.

Et le bourreau, de sa barre de fer, fracassa les membres du condamné, en lui assénant les huit coups réglementaires sur les bras, les jambes et les reins. Mandrin ne poussait pas un cri. Après avoir été laissé huit minutes les membres broyés, — ce court délai représentait un adoucissement de peine, — il fut étranglé. C’était une faveur du juge, — accordée aux instances de l’évêque de Valence, Alexandre Milon, — afin que le malheureux ne restât pas à expirer lentement sur la roue. Les débris de son cadavre furent exposés aux fourches patibulaires.

Au gibet, où ces restes sanglans furent attachés, on vit durant trois jours un ardent pèlerinage. « Au poteau furent affichés des vers de tout étage et des épitaphes en lettres de sang. »