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Au fond d’un cachot, le prisonnier fut attaché par de lourdes chaînes, rivées à ses chevilles et à ses poignets. Il n’était question que de lui à Valence et dans toute la contrée. Du premier moment, Levet de Malaval fut assailli de requêtes. Chacun voulait voir le héros et l’entretenir. On venait en poste des villes voisines. Les voituriers organisaient, non des trains, mais des coches de plaisir. Quand, fatigué de ces visites, Mandrin demandait à se reposer, les gens attendaient son réveil à la porte grillée. Du jour où les interrogatoires furent commencés et où le contrebandier, pour se rendre de son cachot à la « Chambre du secret, » où siégeait Levet de Malaval, dut traverser la cour du Présidial, il y voyait les curieux qui s’y pressaient, serrés comme des harengs dans une caque. Plus d’une fois, il en exprima son dégoût.

Un particulier de Tournon, — à qui Mandrin avait sauvé la vie, un jour où ses camarades, qui le prenaient pour un gâpian, voulaient le tuer, — lui envoya des pigeons et du vin vieux. Dès qu’on sut que Levet de Malaval permettait à son prisonnier ces douceurs, ce furent d’incessantes arrivées de pâtés, de gâteaux à l’eau-de-vie, de becfigues confits dans de la gelée, de bouteilles de bourgogne et de flacons de liqueur.

Chaque jour, le courrier apportait au prisonnier une nombreuse correspondance. Les lettres lui étaient remises après avoir été décachetées. L’une d’elles le toucha beaucoup. Elle était écrite par un acteur qui lui demandait pardon « à genoux » de l’avoir joué sous les traits d’Arlequin.

Tous les témoignages parvenus jusqu’à nous sont unanimes à louer l’attitude tranquille, ferme, sans forfanterie que Mandrin garda durant son procès. Levet de Malaval, à qui le jeune contrebandier en avait imposé, le traitait d’ailleurs avec égards. Il lui donnait du « Monsieur » et le faisait asseoir. Comme il l’interrogeait sur les fauteurs de ses crimes :

— Ce sont les receveurs et les employés des Fermes.

Il lui demandait s’il n’avait pas été soutenu par les subsides de quelque puissance étrangère :

— J’avais assez de ressources en moi-même.

Et comme le magistrat s’enquérait du nom de ses complices :

— Je n’en ai pas meublé ma mémoire pour les livrer aux tribunaux.