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chapeaux, manteau ; on lui vole ses armes, ses selles ; à la servante, Anne Demeure, on enlève ses chemises, ses mouchoirs d’indienne, et son jupon d’une petite étoffe, dite raze ; au pauvre jardinier, qu’ils ont à moitié assommé, les gâpians prennent son couteau et la serpette dont il se servait pour tailler les arbres ; ils enfoncent les coffres de bois de sapin où les deux valets d’écurie, François Berthet et Claude Planche, avaient rangé leurs vestes de ratine brune et de ratine cannelle, leur linge et leur argent, maigres économies réalisées sur leurs gages. Tout est butiné. Claude Planche, pour avoir fait la mauvaise tête, est garrotté et jeté sur la charrette avec Mandrin et Saint-Pierre. Et la charrette part pour la frontière de France, escortée d’une partie de nos conquérans, car le reste demeure à parfaire le pillage du château et à vider la cave.

Ici ce fut un régal. Le président de Thoury en écrit au commandeur de Sinsan, gouverneur de Savoie pour le roi de Sardaigne :

« L’excellence de la cave m’avait engagé à y faire porter de Grenoble mes meilleurs et plus anciens vins et j’y envoyais prendre à mesure que j’en avais besoin. Ces vins sont sans doute un objet que je regrette, car je les destinais à être bus par d’honnêtes gens. »

Soixante bouteilles de liqueurs de Paris, de Lunéville, de la Côte-Saint-André et de Montpellier, « extrêmement vieilles ; » cent bouteilles de Beaujolais, vieux de quatre ans ; cent cinquante bouteilles de vin vieux de Chypre et d’Espagne ; dix-huit grandes bouteilles de vin du Cap et un tonneau de vin de table bon ordinaire. Gâpians et argoulets mirent le tout à sec et ils dévorèrent tout le salé et tout le pain qu’il y avait dans la maison, et plusieurs sacs de noix.

Les portes, qui donnaient accès au bâtiment du fond de la cour, où M. de Thoury faisait sa résidence, avaient été enfoncées dès le premier moment, et l’on avait vu sortir, pour être empilés sur des charrettes, ou fourrés dans des havresacs, ou ficelés en ballots, dont gâpians et argoulets se chargèrent en porte-cols : cinquante-six paires de drap, quatre-vingt-deux nappes de table, huit douzaines de serviettes, des tentures, des tapisseries, des garnitures de lit, des couvertures de soie ou en toile blanche piquée, des tapis de Turquie, des matelas, des paillasses, toute une batterie de cuisine, un service d’argenterie, cuillers,