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M. Guesde qui était d’accord avec le socialisme universel, que M. Hervé inspirait au Congrès une sorte de répulsion et d’horreur, qu’on y était confondu de voir M. Jaurès se faire le patron d’un pareil client, enfin que les doctrines qui avaient prévalu à Nancy étaient destinées à éprouver le sort contraire à Stuttgart, — à moins qu’on ne consentît à en atténuer les parties les plus saillantes et à en supprimer les expressions essentielles. MM. Jaurès et Hervé l’ont fait bien volontiers pour rendre leur défaite moins apparente et la masquer aux yeux défaillans et complaisans.

Ce qu’il y a eu d’humiliant pour nous dans cette affaire, c’est que nos socialistes ont apporté leur patrie en holocauste au congrès de Stuttgart, et que les Allemands ont refusé énergiquement de sacrifier la leur. O honte ! Les vaincus de 1870-1871 ont reçu des vainqueurs une leçon de patriotisme. Tel a été le fond des choses : en voici la forme. Malgré l’opposition de M. Guesde, le congrès de Nancy avait voté une motion en vertu de laquelle les socialistes devaient s’opposer à la guerre par tous les moyens, y compris très expressément la grève générale et l’insurrection. M. Guesde a prononcé à cette occasion une parole sensée, la plus sensée qu’on ait entendue dans les deux congrès, la plus sensée qui lui soit échappée dans toute sa vie, à savoir que, s’il en était ainsi, le pays où il y aurait le plus de socialistes était sûr d’avance d’être battu, et celui où il y en aurait le moins d’être vainqueur. Mais cela ne pouvait pas arrêter M. Hervé, qui, comme on le sait, se moque absolument d’être Français ou Allemand, ni M. Jaurès, qui a déclaré à maintes reprises que, si M. Hervé était un enfant terrible dont les paroles étaient quelquefois imprudentes, il n’en était pas moins tout à fait d’accord avec lui sur le but à atteindre. C’est dans ces conditions, et se croyant forts de la victoire qu’ils avaient remportée à Nancy, que les deux compagnons sont allés à Stuttgart ; mais là ils ont trouvé devant eux le socialisme allemand non pas unifié, mais uni, que représentent avec autorité des hommes comme Bebel et Vollmar. Les premiers coups qu’ils ont reçus ont été terribles. Bebel a déclaré qu’en cas de guerre, les socialistes allemands feraient leur devoir et que les patries étaient un fait qu’on ne pouvait pas se refuser à reconnaître. « Nous supporterions aussi difficilement, a-t-il dit, d’être gouvernés comme des Français que les Français, sans doute, supporteraient d’être gouvernés comme des Allemands. » S’adressant directement à M. Hervé, il lui a reproché de compromettre la paix par sa propagande funeste. « L’état-major allemand, lui a-t-il dit, suit votre œuvre avec la plus grande