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et là-dessus à se monter la tête jusqu’au point où elle se perd dans les nuages. L’inconvénient serait peut-être léger s’ils restaient chez eux ; ils pourraient croire qu’ils sont admirables et que tout le monde les admire ; mais ils ont une autre vieille manie française qui est de vouloir régenter le reste du monde et le convertir à leur foi. Ils entendent être admirés au dehors. Malheureusement leur première prétention s’accorde mal avec la seconde. Quand ils ont arrêté tant bien que mal leurs résolutions dans un congrès national comme celui de Nancy, ils exportent aussitôt ce produit de leurs délibérations dans un congrès international, comme celui d’Amsterdam autrefois et de Stuttgart aujourd’hui, et, invariablement, ils se font siffler. Mais cela ne les décourage pas ; ils recommencent toujours. La vérité n’est-elle pas universelle et ne finit-elle pas inévitablement par triompher ? Et comment admettre qu’ils ne possèdent pas la vérité ?

Les questions posées hier aux congrès nationaux et internationaux étaient au nombre de cinq ou de six, dont les deux principales étaient celles de savoir comment les socialistes devaient se comporter en cas de guerre, et comment devaient vivre à l’égard l’un de l’autre le parti lui-même, qui s’intitule l’élément politique du socialisme, et les syndicats, représentés en France par la Confédération générale du travail, qui sont censés en être l’élément économique, mais qui en sont devenus, chez nous du moins, l’élément révolutionnaire et anarchique. Nous négligerons aujourd’hui la seconde question : si nous en parlons, c’est pour dire que sur celle-ci, encore plus outrageusement que sur celle-là, le socialisme français a été désavoué, battu, écrasé à Stuttgart. Il n’a réuni que 18 voix contre 222. Quoi, dira-t-on, les socialistes français n’étaient donc que 18 ? Ils étaient assurément plus nombreux, mais ils sont profondément divisés, et il suffit que M. Jules Guesde se prononce dans un sens pour que M. Jaurès, M. Vaillant, M. Hervé se prononcent dans l’autre.

Il fut un temps, qui n’est pas loin, où M. Jaurès représentait l’élément modéré, transigeant et parlementaire dans le socialisme, et M. Jules Guesde l’élément avancé et révolutionnaire. Aujourd’hui c’est le contraire. Au congrès de Nancy, M. Guesde a représenté le bon sens et le patriotisme, relatifs, — bien entendu, — et M. Jaurès, qui s’est fait le patron de M. Hervé, l’antipatriotisme pur et simple. M. Guesde a été battu ; le triumvirat Jaurès, Hervé et Vaillant a été vainqueur. Mais les situations ont été renversées à Stuttgart, et, malgré le vague, l’équivoque, l’embrouillamini de la motion qui a été finalement votée, il a été évident, depuis le premier jour jusqu’au dernier, que c’était