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du terrain qu’occuperaient nos troupes, jusqu’au moment lointain où nous aurions occupé enfin le pays tout entier. Gardons-nous d’une pareille aventure !

C’est parce que le gouvernement s’en garde, et qu’il a donné à cet égard toutes les explications et les assurances désirables, qu’il a rencontré partout en Europe, bonne volonté, sympathie et confiance. Il semble qu’il y ait en ce moment une détente générale dans les esprits, et, après tout ce qui s’est passé, il est singulier que ce soit notre intervention militaire au Maroc qui ait servi d’occasion à ce sentiment nouveau : cela prouve qu’il faut s’attendre à tout et ne désespérer de rien. La franchise de notre attitude a fini par faire impression. Ce que nous répétons aujourd’hui, nous le disons depuis longtemps : la différence est qu’on affectait hier de ne pas nous croire et qu’on nous croit aujourd’hui. Est-ce nous qui avons changé ? Sont-ce les autres ? Il est bien inutile de le rechercher. Quoi qu’il en soit, on nous fait bon visage, et, pendant que notre canon tonne à Casablanca, ébranlant tous les échos de l’Afrique septentrionale et de la Méditerranée, on nous accueille, on nous écoute, on cause avec nous, on cesse enfin de nous traiter en suspects.

L’invitation à déjeuner que le roi d’Angleterre a adressée à M. Clemenceau n’est pas, on le devine, le fait auquel nous faisons principalement allusion. Le roi Edouard a contribué plus que personne au rapprochement qui s’est produit entre son pays et le nôtre. On peut même dire que ce rapprochement est son œuvre, autant du moins que cette manière de parler est de mise lorsqu’il s’agit d’un pays aussi parlementaire que l’Angleterre : le souverain ne peut évidemment pas y avoir une autre politique que celle de l’opinion, du gouvernement et des Chambres, mais il peut, par ses moyens propres, aider beaucoup à sa réalisation, et c’est ce qu’a fait Edouard VII. Nous devons lui en savoir gré. Il était donc assez naturel que, n’étant séparé de M. le président du Conseil que par la distance entre Marienbad et Carlsbad, il lui ait fait l’honneur de l’inviter avenir le voir ; mais cette invitation, venant après l’entrevue de Wilhelmshœhe, avait une importance plus grande qu’une simple marque de bienveillance donnée par Edouard VII à M. Clemenceau. Nous avons assisté, depuis quelques semaines, à de nombreuses rencontres entre souverains, et nous avons déjà dit que, loin d’en prendre ombrage, nous y trouvions de nouvelles garanties pour le maintien de la paix ; mais peut-être était-il bon que la France n’eût pas l’air d’être tenue en dehors de tous ces conciliabules, car elle est, elle aussi, un des facteurs importans de