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au gouvernement marocain que nous avions actuellement affaire ; mais c’est à une insurrection locale à laquelle le gouvernement est resté étranger. Nous pouvons donc, au moins provisoirement, nous désintéresser de la question de savoir quel est, et où est le gouvernement régulier du Maroc. Toutefois le moment viendra bientôt où nous aurons à causer avec lui, et alors nous aurons quelque peine à discerner le véritable, si l’avantage obtenu déjà par l’un des deux partis ne nous le désigne pas avec évidence. Mais à quoi bon anticiper sur l’avenir ?

Il y aurait plus d’intérêt, pour le présent, à savoir quelles sont les dispositions de Moulaï-Hafid à l’égard des Européens. Si on en jugeait seulement par son passé, elles devraient être rassurantes. Moulaï-Hafid est âgé de trente-deux ans ; il est plus éclairé que la plupart de ses compatriotes : son esprit est cultivé, mais, bien entendu, dans le sens traditionnel, religieux et théologique où les musulmans recherchent toute leur instruction ; enfin il est prudent, avisé, sage peut-être, et il en a donné la preuve par la manière dont il s’est conduit envers les Européens à Marakech, après l’assassinat du docteur Mauchamp. Il a désavoué hautement cet acte de barbarie et s’est employé utilement à la protection des étrangers. Tout donne donc à croire que, s’il était livré à ses seules inspirations et libre de les suivre, on ne trouverait pas en lui un ennemi aveugle et farouche de l’Europe et de sa civilisation. Mais il est, il ne peut pas se dispenser d’être l’homme de la situation où il a trouvé un pouvoir encore bien incertain, peut-être éphémère, et cette situation lui impose de prendre à son compte, qu’il les éprouve ou non, les haines et les colères de ses compatriotes contre les étrangers. Que fera-t-il ? Il a montré jusqu’ici une souplesse de caractère qui n’est pas exempte de duplicité. Son frère Abd-el-Aziz lui avait témoigné de l’affection et de la confiance, accordé des faveurs, confié enfin des fonctions qui lui ont permis de se créer une clientèle. Il avait paru répondre à ces sentimens par des sentimens analogues, c’est-à-dire par du dévouement et de la fidélité. On voit aujourd’hui ce qu’il avait réellement dans le cœur : à la première bourrasque un peu forte, il se dresse devant son frère comme un prétendant, et le plus dangereux de tous. Cela les regarde : c’est une affaire à débattre entre eux. Si Moulaï-Hafid l’emporte, nous ne nous occuperons pas de son passé, nous supputerons la valeur des garanties qu’il nous offrira. Mais nous ne les trouverons pas seulement dans son caractère, qui se plie aux circonstances avec tant de flexibilité. Et c’est ce qui nous fait craindre que, les