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condition de faire tomber le peu qui restait du lien d’autrefois.

La loi du 23 décembre 1874, « relative à la protection des enfans du premier âge et en particulier des nourrissons,  » est connue sous le nom de loi Roussel. Dans les années qui précédèrent la guerre, Théophile Roussel avait été extrêmement frappé de la mortalité croissante des enfans : à Paris, les statistiques établissaient que plus de la moitié (51,6 pour 100) périssaient avant un an, tandis que dans un département de faible population, la Creuse, la moyenne des décès n’était que de 13 pour 100. Parmi les causes de cette effroyable mortalité, abus d’alcool, dégénérescence, surmenage, etc., Roussel s’en prit à celle qui était seule susceptible de mesures immédiates, énergiques, « l’industrie nourricière.  » Les statistiques démontraient que « les enfans nourris dans la famille échappaient à la plupart des causes de décès qui déciment les enfans envoyés en nourrice.  » Il ne pouvait être question de contraindre les familles à garder leurs enfans : du moins on pouvait substituer à leur surveillance celle de l’autorité publique. Théophile Roussel proposa donc et fit voter une série de mesures qui instituaient cette surveillance aussi rigoureuse que possible : des médecins inspecteurs furent chargés de visiter les nourrissons ; des déclarations furent imposées aux nourrices. Il y eut même une déclaration imposée aux parens. C’est à coup sûr une atteinte au droit de garde et d’éducation qui est l’essence de la puissance paternelle : des parens qui plaçaient leur enfant en nourrice entendaient exercer un droit auquel nul, État ou particulier, n’avait rien à voir. Cependant Roussel n’hésita pas à leur imposer une déclaration dont leur amour-propre pouvait être gêné : il comptait justement, pour détourner quelques-uns du placement, sur l’embarras qu’ils auraient à révéler cet acte de parfaite insouciance ; d’ailleurs la déclaration était indispensable pour le contrôle de l’État. On remarquera qu’en ceci Roussel reproduisait simplement une règle ancienne ; si respectueux de la puissance paternelle, l’ancien régime pourtant fit exception au principe en exigeant une déclaration des parens qui plaçaient leur enfant en nourrice : cela se passait, il est vrai, tout à la fin de l’ancien droit ; l’ordonnance est de 1762 : c’est l’année où parut l’Emile et on peut croire que l’ordonnance fut directement inspirée par les attaques véhémentes de Rousseau contre les femmes qui ne voulaient pas nourrir. A un siècle de distance, reprise par un homme