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repentant de ses fautes : cela lui a fait grand bien ! » Objectera-ton, pour la défense de Gui Patin, que de telles phrases — et elles sont nombreuses sous sa plume, — ont dépassé sa pensée, et qu’il serait injuste de le condamner sur de prétendues impiétés qui ne sont peut-être que des boutades ou des saillies de son esprit ? Au contraire, il nous avertit qu’il n’a pas mis toute sa pensée dans ses Lettres et que quelques intimes seulement en ont eu la secrète confidence. Il aurait fallu l’entendre causer avec Gassendi chez son ami-Gabriel Naudé. « Ce sera une débauche, mais philosophique, et peut-être quelque chose davantage : peut-être tous trois, guéris du loup-garou et délivrés du mal des scrupules qui est le tyran des consciences, nous irons peut-être fort près du sanctuaire. Je fis, l’an passé, ce voyage de Gentilly avec M. Naudé, moi seul avec lui, tête à tête : il n’y avait point de témoins, aussi n’y en fallait-il point : nous y parlâmes fort librement de tout sans que personne en ait été scandalisé. » Mais nous n’y étions pas… Ce qu’on peut dire, c’est que les libertins ou leurs amis, à cette date, ne formulaient pas encore d’affirmations très précises. Ils n’en étaient qu’aux négations. Bayle a dit de Gui Patin qu’il n’avait pas beaucoup d’articles à son Credo. Il n’en avait pas rayé Dieu, dans un siècle encore tout imprégné de foi. Vienne l’instant où la foi vacillera — et cet instant est proche, — ce minimum de credo ne résistera pas au souffle grandissant de l’incrédulité. Inversement le genre de sarcasmes où excelle Gui Patin fera fortune. La première édition des Lettres paraît en 1683, un an après les Pensées sur la Comète de Bayle, quatre ans avant les Oracles de Fontenelle. On peut juger par là de la place qui appartient à Gui Patin. Cet homme d’esprit ne fut à aucun degré un grand esprit ni surtout un esprit hardi. En théologie comme en médecine, il n’a d’idées que dans la mesure où les préjugés sont des opinions. C’est un attardé du XVIe siècle, comme on l’a dit, mais c’est sa raison d’être ; en prolongeant l’esprit du XVIe siècle jusqu’au temps de Pascal, de Bossuet et de Bourdaloue, il lui permet de rejoindre le moment où se prépare et se dessine l’œuvre du XVIIIe siècle.


RENE DOUMIC.