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Si d’aventure vous voulez savoir le sentiment auquel son cœur est le plus accessible, ne cherchez pas : c’est l’amitié. Envers ceux qui, dans sa carrière, l’ont aidé de leur expérience et de leurs conseils, il a une reconnaissance, un dévouement sans limites. Quelques-unes des très rares larmes qu’il lui arrive de verser, c’est au chevet d’un ami que son coup d’œil de praticien lui révèle soudain comme condamné à une mort sans rémission. — Faut-il un dernier trait pour achever de peindre ce bourgeois qu’est Gui Patin ? C’est qu’il est badaud. Il s’en défend, et en plus d’un endroit ; il dit de belles choses sur la vanité des spectacles populaires ; il ne voit pas pour sa part où est le plaisir de contempler les grands de la terre. « Si le roi Salomon avec la reine de Saba faisaient ici leur entrée avec toute leur gloire, je ne sais si j’en quitterais mes livres ; mon étude me plaît tout autrement… » C’est entendu. Et Gui Patin ne se dérangerait donc pas pour aller voir passer princes ni ambassadeurs ; mais le hasard ferait qu’il se trouverait sur leur passage. Les nécessités mêmes de sa profession ne l’obligent-elles pas à beaucoup circuler dans les rues ? Il en aime les spectacles. Il se fait raconter, pour les redire à son tour, ceux dont il n’a pas été le témoin. Comme celui qui aimait Paris jusque dans ses verrues, il est curieux de l’anecdote grasse des Halles et des exhibitions sinistres de la Croix du Trahoir. Il sait les nouvelles : que la reine de Suède a fait assassiner Monaldeschi et qu’elle a rendu visite à l’Académie des beaux-esprits, comme on appelait alors l’Académie française ; que le Roi est amoureux d’une Mancini ; que les quatre médecins de Mazarin ne s’accordent pas sur la nature du mal dont il est mort ; qu’un Libraire a fait banqueroute ; qu’un fils de famille désole par ses débordemens monsieur son père, etc. Il recueille tous les commérages ; il leur fait un sort ; il en prolonge l’écho jusqu’à nous. Ce grand ennemi du gazetier Renaudot est, lui-même, une gazette vivante. Cet homme d’étude est badaud dans l’âme.

Bourgeois de condition, Gui Pal in est médecin de profession : c’est une profession qui met son empreinte sur l’individu, et qui doit l’y mettre. Jusqu’au jour où, comme il n’est pas impossible qu’il y réussisse, M. le docteur Triaire nous aura démontré le contraire, force nous est bien de tenir Gui Patin pour un médecin de Molière. Il n’y a presque pas un trait de l’immortelle satire qui n’eût pu être pris directement de Gui Patin. Seignare, ensuita purgare ! c’est à quoi se réduit pour lui toute la thérapeutique. Un frémit devant les exemples qu’il cite avec éloge. « Environ l’an 1633, M. Cousinot, qui est aujourd’hui premier médecin du Roi, fut attaqué d’un rude et violent rhumatisme