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d’avoir envoyé le poison dont presque personne ne doutait. Ce n’était pas fait pour hâter la fin de son exil. Un jour que la Grande Mademoiselle s’entretenait avec le Roi, ce prince lui dit : « Le chevalier de Lorraine ne reviendra jamais, de mon consentement, auprès de mon frère. Quoique j’eusse beaucoup de considération pour feu Madame, il y a eu encore d’autres raisons qui me l’ont fait éloigner de mon frère, et par ces raisons il ne reviendra pas[1]. » Si le Roi s’en était tenu à cette décision, il aurait épargné bien des chagrins à sa nouvelle belle-sœur.

En attendant les mauvais jours, la princesse Liselotte faisait connaissance avec la vie qui allait être la sienne. Le 4 décembre, jour de son arrivée au château de Saint-Germain, le Roi la « régala » d’un ballet dont la Gazette[2]célébra « la pompe et la magnificence. » Selon une habitude qui sentait le mot d’ordre, l’article rappelait aux Français que leur souverain avait bien gagné ce noble délassement par « ses soins continuels pour la Gloire de son État et le Bien de ses Sujets. » Louis XIV tenait à ce qu’on sût qu’il était grand travailleur ; cela fait toujours bon effet.

Le 5, Madame reçut les cadeaux de noces de Leurs Majestés. De la Reine, une rose en diamans, valant 40 000 écus d’après le nonce du Pape[3]. Du Roi, trois cassettes renfermant 30 000 pistoles[4]pour les menus plaisirs de la jeune princesse. Madame s’étant plainte amèrement, et à de nombreuses reprises, qu’on la laissât manquer d’argent en France, il n’est pas hors de propos de noter ici que le présent du Roi représentait à peu près la moitié du revenu total du Palatinat pendant une année. En 1671, par exemple, le budget de Charles-Louis se monta, pour les recettes, à la somme de 234 834 florins[5]. Ces chiffres rendaient l’économie de rigueur à Heidelberg, et Liselotte avait été dressée par son père à se passer d’argent de poche.

Le 7, le Roi rendit une ordonnance où il était dit que Sa Majesté, « voulant favorablement traiter Mgr le duc d’Orléans, son frère unique, et lui donner moyen de soutenir les dépenses de sa maison, » lui avait « libéralement accordé la somme de

  1. Mémoires de Mlle de Montpensier, IV, 168.
  2. Recueil des Gazettes, etc.. n" 143, p. 1166-1168 (Paris, 1672).
  3. Archives du Vatican : Dépêche du 11 décembre 1671.
  4. D’après Michielli, ambassadeur de Venise. Relations des ambassadeurs vénitiens. — Italien ; 1872, p. 115. — Mss. B. N.
  5. Haüsser, II, 660.