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de sa tante attendaient encore chez les marchands parisiens l’argent de Charles-Louis, d’où une situation tragi-comique, selon l’humeur des personnes. La Palatine l’avait prise au tragique. Elle prédisait que cette lésinerie coûterait cher au Palatinat et écrivait à Rammingen, « résident » de son beau-frère à Paris : « Vous savez bien qu’elle n’a que six chemises de nuit et autant de jour, et sera pour faire partout la plaisanterie qu’elle n’avait pas de chemise à mettre, et ces choses-là nuisent à tout… L’affection de Monsieur et l’estime du Roi, c’est là le solide… Cependant songez au linge ; .. il sera honteux d’envoyer une fille de l’Electeur à un frère du roi de France avec six chemises. Il y a une douzaine de ce qui peut rendre ce mariage utile aux intérêts de Monsieur l’Electeur, pourvu qu’on n’y gâte rien. Je prendrai le même soin de la conservation que j’ai fait pour mettre les choses en l’état où elles sont, mais il faut que chacun y contribue de son côté. Madame se conduit admirablement bien et est admirée et aimée de toute la cour[1]. » Transmise à Heidelberg, cette lettre produisit l’effet désiré. Madame eut des chemises, et ne rencontra partout que des sourires de bienvenue.


IV

Il est convenu en Allemagne que Madame a été extrêmement malheureuse pendant tout le demi-siècle qu’elle vécut en France. Ce n’est pas exact ; mais la légende a pour elle, de l’autre côté du Rhin, presque tous les hommes en droit d’avoir une opinion. Fustel de Coulanges disait que l’érudition germanique est « patriote. » Le mot est toujours vrai. C’est par patriotisme que les écrivains allemands ont adopté Madame pour être un exemple éclatant de l’incompatibilité qui existait déjà, au XVIIe siècle, entre son peuple et le nôtre ; entre une « nature foncièrement allemande[2], » remplie des vertus sérieuses de sa race, et le milieu « frivole et corrompu » où la princesse Liselotte avait été

  1. Briefwechsel der Herzogin Sophie von Hannover, etc., p. 471.
  2. Préface des lettres de Madame à l’Electrice Sophie, par M. Edouard Bodemann, p. II. M. Ed. Bodemann a emprunté presque textuellement ce passage à Haüsser, l’historien du Palatinat, vol. II, p. 716. En opposition à ces partis pris, il est juste de signaler, pour son impartialité et la justesse de ses jugemens, une conférence sur Madame faite à l’Université de Heidelberg, le 19 mars 1895, par M, J. Wille, et publiée depuis en brochure (Heidelberg, Gustav Kœster).