Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétien) lui rende un jour toute l’Allemagne soumise ; pour moi, je suis fort pour la liberté germanique. » Elle voyait juste ; l’indépendance même de l’Allemagne était en jeu. En même temps que les princes, la France achetait leurs ministres et leurs conseillers, les influences féminines de leur cour, le maître d’armes de leurs fils et le maître à danser de leurs filles, d’où un concert de complaisances qui faisait rendre le maximum aux traités officiels[1] : « Louis, déclare Ranke[2], possédait dans l’Empire allemand une influence qui, tout au moins dans les cercles occidentaux, était égale sinon supérieure à l’autorité de l’Empereur. » A la page suivante, Ranke reconnaît que, même au cœur de l’Allemagne, c’était à Louis qu’on obéissait. En 1664, la ville d’Erfurt ayant refusé d’accepter une décision impériale, le roi de France l’y contraignit, sans doute pour le principe. Un petit corps français passa la frontière, traversa paisiblement la moitié de l’Allemagne, et exécuta sa mission avec l’aide de l’Electeur de Saxe, auquel il incombait de défendre Erfurt, mais qui avait été subjugué par ce témoignage de notre prestige.

Tandis que chacun, en Allemagne, visait à tirer son épingle du jeu, Charles-Louis s’arrangeait de façon à être mal avec tout le monde. En paroles, il était contre les envahissemens de la France. — Je suis prince allemand et électeur, disait-il fièrement, et j’entends ne dépendre que de Dieu et de l’Empereur. — En fait, il avait accepté nos subsides[3]en 1658, lors de la ligue du Rhin, parce qu’il était au-dessus de ses forces de refuser de l’argent ; de sorte qu’il empochait et enrageait tout à la fois. Haüsser affirme qu’il ne toucha pas longtemps « le salaire de Judas. » Il était néanmoins à prévoir que cela finirait mal ; qu’entre l’acheteur de consciences qui voudrait en avoir pour son argent, et le vendu qui essaierait de tricher, les relations se tendraient à la première menace d’une guerre européenne ; et que Charles-Louis, mal avec l’Empereur, qui savait à quoi s’en tenir, mal avec ses voisins, qu’il harcelait pour des questions de gros sous, se trouverait dans une situation critique. Lui-même s’en

  1. La France avait conclu en 1658 une alliance défensive avec les Electeurs ecclésiastiques, l’Électeur Palatin, la Bavière, les maisons de Brunswick et de Hesse, etc. Ce fut la Ligue du Rhin.
  2. Französische Geschichte, etc., vol. IV, p. 325 et 323 de la traduction française de J.-J. Porchat.
  3. 3 000 thalers par mois. Cf. Haüsser, Geschichte der Reinischen Pfalz, II, 616.