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une protection puissante, non seulement parce qu’elles font la gloire, ou même, selon Charles le Sage, la destinée des empires, mais surtout parce qu’elles fortifient les vertus en étendant les lumières. » C’est ce que souhaitait, à ce moment, ce qu’espérait toute la France, et l’Académie se faisait l’organe de l’opinion publique. Aussi n’a-t-elle jamais été plus à la mode ; toute l’Europe a les yeux sur elle. Les souverains qui viennent à Paris ne manquent pas de lui rendre visite. Ils assistent à ses séances à côté du directeur en exercice ; on lit devant eux des vers où leur éloge est finement inséré, et à la fin, quand se fait aux académiciens présens la distribution des jetons, on leur en offre un aussi, « comme marque de confraternité académique. » Cette popularité est à son apogée en 1782, à la réception de Condorcet. La philosophie à ce moment est maîtresse de l’opinion, et le discours de Condorcet n’est qu’une hymne à la gloire. « Nous pouvons nous écrier, dit-il d’un ton d’inspiré : La vérité a vaincu, le genre humain est sauvé ! » Et le public, qui l’applaudit avec transport, n’oublie pas que l’Académie a pris une part importante à cette victoire et semble disposé à lui en témoigner sa reconnaissance.

Il y avait donc chez nous, au début de la Révolution, deux courans contraires au sujet de l’Académie. Des gens d’esprit, qui appartenaient à tous les partis, avaient pris l’habitude de la tourner en ridicule, et non contens de se moquer d’elle, ce qui est toujours aisé, ils lui adressaient des reproches plus sérieux et lui trouvaient de graves défauts. Le grand public au contraire lui restait favorable ; on continuait à lui savoir gré de ce qu’elle avait fait pour le succès des idées nouvelles : mais tout d’un coup, au moment même où ces idées triomphent, un changement semble se faire dans l’opinion. On se détache de l’Académie, on oublie les services qu’elle a rendus, on lui devient si hostile que lorsqu’elle est attaquée, menacée de mort, elle n’a plus personne qui la défende ; finalement il arrive que, tandis que la monarchie avait songé à la détruire, l’accusant d’être trop républicaine, c’est la République qui la supprime, comme une institution monarchique. D’où a pu venir ce revirement inattendu ? Quels prétextes en a-t-on donnés et quelles en sont les causes réelles ? Il faut essayer de s’en rendre compte.