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approbations, tant sur de nouvelles recettes de fard, de pommades pour les cheveux, d’emplâtres pour les cors, d’onguens pour les punaises, que sur la forme la plus avantageuse des faux toupets, des têtes à perruque, des canules de seringues, et sur mille autres objets de pareille importance ; travaux glorieux, bien faits pour nous consoler des sommes immenses qu’elle nous coûte annuellement[1]. Prise collectivement, elle doit être regardée comme une société d’hommes vains, très fiers de se rassembler deux fois par semaine, pour bavarder à l’aise sur les fleurs de lys, ou, si tu l’aimes mieux, comme une confrérie d’hommes médiocres, sachant fort peu de choses et croyant tout savoir, livrés machinalement aux sciences, jugeant sur parole, hors d’état de rien approfondir, attachés par amour-propre aux anciennes opinions et presque toujours brouillés avec le bon sens. »

Après ces attaques générales viennent les injures personnelles. Il prend à partie successivement Condorcet, Lagrange, Monge, Lavoisier surtout, qui semble être pour lui un ennemi particulier. Il raille leurs travaux, il nie leur science, il jette des doutes sur leur honnêteté. Il raconte que des sots « qui croient que le génie s’est réfugié à l’Académie des sciences, » lui ont confié 12 000 livres pour découvrir quoique moyen de diriger les ballons. « Qu’est devenu cet argent ? apprenez que ces savans en ont fait entre eux le partage, et qu’il a été mangé à la Rapée, à l’Opéra, et chez les filles. »

Comment le pamphlet de Marat fut-il reçu du public, et quelle influence a-t-il exercée sur les événemens qui ont suivi ? il est difficile de le savoir exactement. Au premier abord, on est tenté de croire que la popularité de l’Académie des sciences, qui était si solidement établie, n’a pas pu être ébranlée par ces sottises ineptes. Cependant, quand on regarde de près, il faut avouer que la conduite hésitante, embarrassée, de la Commission d’Instruction publique, que l’affaire regardait, donne à réfléchir. Assurément elle souhaitait sauver l’Académie des sciences, elle la respectait, elle l’honorait, elle la trouvait utile à la République, et sentait qu’on aurait quelque peine à se passer d’elle. Mais quand il s’agit de la défendre ouvertement, de proposer qu’elle soit exemptée des mesures qu’on prend contre les autres, on n’en a pas le courage, et l’on n’agit qu’en cachette. Nous voyons,

  1. Le budget de l’Académie des Sciences, en 1790, montait à 83 458 livres.