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satisfaction qu’il est pourtant si raisonnable de désirer. On met l’instabilité à la tête de notre armée : c’est le contraire qui conviendrait.

M. Clemenceau, à l’inverse de la plupart de ses amis politiques, comprend théoriquement la nécessité d’avoir une armée ; par malheur il comprend beaucoup moins bien les conditions pratiques indispensables pour en avoir une. En pareille matière, la bonne intention ne sert de rien. Il faudrait d’abord un ministre de la Guerre qui aurait, non seulement l’habit, mais encore et surtout l’âme d’un soldat : on a eu le temps de s’apercevoir que ce n’était pas le cas de notre ministre actuel. Nous reconnaîtrons, si l’on veut, au général Picquart toutes les qualités civiles ; quant aux qualités militaires, il en est dépourvu. Nul ne s’est montré plus faible à l’égard du Parlement, et on affirme qu’il ne l’est pas moins dans tous les détails de son administration. Comment une Chambre à laquelle on n’oppose aucune résistance aurait-elle assez de maîtrise sur elle-même pour résister à des tendances qui, si elles ne sont pas légitimes, sont du moins naturelles de sa part ? Elle ne s’arrêterait que si elle voyait se dresser en face d’elle un ministre dont la haute compétence ne saurait être contestée, qui lui montrerait les conséquences fatales de ses votes, qui l’adjurerait de ne pas les émettre, qui parlerait assez haut pour être entendu par le pays lui-même, et enfin qui déposerait son portefeuille sur la tribune en déclarant qu’il ne le reprendrait qu’au cas où la majorité se rallierait autour de lui, confiante et résolue. Si le général Picquart avait tenu un pareil langage, il est à croire que ni lui, ni le général Hagron, n’aurait été obligé de donner sa démission. La Chambre aurait reculé devant une responsabilité écrasante ; notre armée ne serait pas dans l’état de délabrement provisoire où on la voit aujourd’hui. Oui, un homme aurait suffi pour faire tout cela, et le général Picquart aurait pu être eut homme : mais il ne l’est pas ; il est même aussi éloigné de l’être que possible. Comment profiterait-il de la leçon que lui donne le général Hagron, puisqu’il n’en comprend pas le caractère et qu’il fait dire par ses journaux que tout est pour le mieux ?

Il n’y a pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir. Les Chambres ne veulent pas voir. Le gouvernement ne veut pas voir. On dissimule la vérité au pays ; on l’endort dans une sécurité trompeuse. Le général Hagron, du moins, a fait son devoir : il nous a donné un avertissement nécessaire, mieux que par un discours, par un acte. Mais toutes les impressions passent si vite, et les choses les plus fortes frappent si légèrement, que cet acte sera bientôt oublié. Le Parlement, le gouvernement, le pays, l’armée resteront les mêmes : il leur