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Il ne le fera pas, soit ; nous voulons le croire ; nous le croyons. Mais le général chargé de la direction suprême de nos armées doit prévoir toutes les éventualités et y être prêt. Il s’exposerait à être flétri par l’histoire s’il ne le faisait pas. Et enfin, ce qui n’arrivera pas demain peut arriver après-demain, et arrivera sûrement un jour ou l’autre, celui où on s’y attendra le moins. L’armée est faite pour la guerre. Aussi longtemps que nous n’aurons pas la guerre, il importera peu que nous ayons une armée faible. Plus elle le sera, plus l’électeur sera satisfait, et il admirera comme les choses vont bien, comme elles vont de mieux en mieux, avec le minimum d’effort militaire possible. Le gouvernement sera populaire. On le bénira dans les villes et encore plus dans les champs. Mais si la guerre éclate, quel coup de foudre ! C’est ce qu’électeurs et élus s’obstinent à ne pas prévoir, en quoi ils ont tort. Mais ce qui est coupable de leur part serait criminel de la part d’un général en chef dont la quiétude endormirait le pays sur le danger qui le menace. Le général Hagron n’a pas éprouvé cette quiétude. Il s’est demandé avec angoisse ce qui arriverait si nous étions surpris en flagrant délit de désorganisation et d’émiettement, et la conséquence de ses réflexions a été sa demande de mise en disponibilité.

Heureusement le général de Lacroix était là, tout près, et il s’est montré plus optimiste. Mais le général Hagron, lui aussi, était optimiste il y a un an, et il ne l’est plus aujourd’hui : le général de Lacroix le sera-t-il encore dans un an ? Dans deux ans, la question ne se posera plus pour lui, car il sera atteint par la limite d’âge. On ne lui demande que deux ans de bonne volonté. Étant né, en effet, en 1844, il a aujourd’hui soixante-trois ans. Le général Hagron avait un an de moins que lui, et, comme il venait de terminer le temps d’apprentissage qui est indispensable aux mieux doués pour s’adapter à tous les détails de fonctions aussi compliquées, on pouvait espérer que l’armée bénéficierait pendant trois ans encore de l’expérience qu’il avait acquise. Quand le général de Lacroix aura terminé son année d’apprentissage, que lui restera-t-il d’activité ? Nous ne voulons pas insister sur ce côté de la question ; mais ne semble-t-il pas qu’on s’applique de plus en plus à diminuer la durée de service du généralissime, comme si on craignait de le voir encore une fois donner sa démission avant l’heure de la retraite, dans le cas où elle tarderait trop ? N’y a-t-il pas là un inconvénient ? Nous voudrions jouir du général de Lacroix pendant cinq ou six ans au moins, et certes ce n’est pas trop ; il vaudrait mieux que ce fût davantage : nous n’aurons pas une