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n’égalera jamais la totalité de la connaissance humaine. Cela veut dire : qu’il y a des problèmes dont l’examen n’appartient pas à la science, et qu’elle serait impuissante, je ne dis pas à résoudre, mais à poser comme ils doivent être posés. Cela veut dire : qu’interrogé sur la divinité du Christ et sur le mystère de l’Incarnation, le chrétien ne trouvera pas la réponse dans un Traité d’embryologie. Cela veut dire : que les opinions du chimiste le plus éminent, ou même du philologue le plus distingué, n’étant pas des argumens en faveur de la vérité de la religion, n’en sont donc pas non plus contre elle. Les découvertes d’un Berthelot ne prouvent pas plus pour la libre pensée que celles d’un Pasteur ne prouvent pour la religion. Et cela veut dire enfin, ou encore : que, depuis tantôt cent cinquante uns, si la libre pensée s’est flattée de cette espérance, que la science, deviendrait elle-même une « religion, » et l’unique religion, elle n’y a pas encore tout à fait renoncé, mais il devient de jour en jour plus évident qu’elle y renoncera[1].

En fait, Ferdinand Brunetière n’a jamais dit ou écrit autre chose. L’idée maîtresse de l’article Après une visite au Vatican, c’est tout simplement celle de Pascal sur les différens « ordres » de réalités et de connaissances. La science est « d’un autre ordre » que la religion, voilà tout ce qu’il a voulu dire ; et l’on notera que, par des voies différentes, c’est à une conclusion de ce genre qu’aboutissent aujourd’hui nombre de philosophes ou de savans de profession, MM. Poincaré et Duhem, Lachelier et Boutroux, Grasset et Le Roy, Bergson ou Wilbois. « Il est universellement admis de nos jours, — lisons-nous dans une curieuse note inédite qu’a laissée l’auteur des Discours de combat, — que la science n’atteint ni ne saurait atteindre le « fond » de quoi que ce soit, ce qui d’ailleurs ne veut pas dire que ce « fond » nous soit jamais inaccessible, mais seulement que les moyens par lesquels on l’atteint ne sont pas de ceux qui contribuent aux progrès de la chimie ou de l’histoire naturelle ; — et c’était tout ce que j’avais dit. Si je n’ai pas la prétention, pour ma part, d’avoir aidé à ce « changement de front, » je puis du moins me flatter de n’y avoir pas nui, et, en tout cas, d’avoir préparé cette atmosphère intellectuelle sans la complicité de laquelle il n’y a pas de modification de la « mentalité. » — Je ne crois pas qu’on puisse sérieusement lui refuser le droit de se rendre ce témoignage à lui-même.

  1. Si l’on veut compléter la pensée de Ferdinand Brunetière sur ce point, on fera bien de se reporter, dans la dernière série des Discours de combat, à la conférence de Bruxelles sur l’Évolution du concept de science, qui n’a pu être rédigée, mais dont on nous donne les très curieuses notes schématiques. Science, art, littérature, philosophie, religion, c’étaient là, à ses yeux, tout autant de parties dont se compose la civilisation générale ; et aucune n’a le droit d’anéantir, de confisquer ou de se subordonner les autres.