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idées, notre langue et nos sciences ; ils eussent acquis, au contact et par l’émulation taquine et pressante des enfans, l’amour de la France. Les Réunionnais qui ont été élevés à Saint-Denis, au lycée Leconte de Lisle, y ont souvent eu pour condisciples de petits Betsimisares, que leurs parens y envoyaient faire des études avant la conquête, et ils peuvent témoigner qu’à la sortie des classes la tonalité de la peau permettait seule d’établir une différence entre ces Malgaches et leurs camarades. Outre qu’ils parlent un français plus correct que celui de notre petite bourgeoisie ouvrière, y mettant du soin sans effort et, pour mieux dire, de la civilité, ils n’ont eu aucune peine à s’assimiler, tout aussi bien que les plus blancs, l’esprit des sciences et du progrès, le sens de la composition française, la grâce des manières polies, le goût de la race et le génie des auteurs classiques.

Voyageant plus tard dans la Grande Ile, on y rejoint quelques-uns de ceux qui s’y sont établis et l’on entend dire par les Européens qu’ils sont redevenus sauvages dès qu’ils sont rentrés dans leurs familles : sans doute est-ce qu’ils ne se livrent pas aux métropolitains dont ils sentent les préventions et écoutent débiter péremptoirement les préjugés. L’un d’eux, par exemple, est avocat à Tamatave : aimable, un peu négligé, mais galant, spirituel, disert à avoir une fois tenu sous le charme par une demi-heure d’improvisations élégantes un cercle de professeurs parisiens et bourbonnais, il emploie le plus volontiers sa parole souple et son éloquence sentimentale, même un peu larmoyante devant les juges, à faire acquitter à tort ou à raison ses congénères illettrés : pour lui ne sont-ils pas toujours pitoyables ou amusans ? Il ne cache point leurs défauts, mais il se plaît davantage à affirmer leurs qualités, pour sacrifier à la sensibilité humanitaire qui fut cultivée chez lui au lycée et pour en favoriser le développement ; et c’est uniquement sur le respect de leurs droits qu’à son avis on peut asseoir solidement le gouvernement de la France, il ne dit point la domination, parce qu’instinctivement il voit dans les Malgaches des sujets-citoyens qui s’élèveront peu à peu à la conscience sans que s’altère en rien pour cela le fond de leur race. D’ailleurs, selon lui, qu’est-ce qui peut s’y modifier profondément ? Les Malgaches ne possèdent-ils pas en germe les mêmes facultés que les autres hommes et qu’il s’agit simplement de sélectionner sous une administration libérale ; ne sont-ce pas exactement les qualités et défauts qu’il retrouve