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ne pas être expulsés. On pourrait se demander comment l’idée d’une mesure aussi bizarre et préjudiciable a pu inspirer l’Administration, si on ne se rendait compte qu’il y avait tout intérêt pour certaines sociétés de commerce tard venues, grevées de frais généraux, ayant à leur solde des pharmaciens de première classe, de créer un privilège en faveur de ceux-ci[1], de monopoliser la pharmacie à Madagascar. Après quelques recherches au ministère des Colonies, on voit quels parlementaires intervinrent pour faire prendre le décret du 7 mars 1904, et les journaux de Tamatave ont publié les lettres pressantes qui leur furent adressées par leurs compatriotes, les agens des sociétés à Madagascar, liés avec les électeurs influens de leurs départemens. Au lieu de persécuter « les pharmaciens munis de diplômes étrangers ou coloniaux, » — toi est le texte officiel confondant aussi singulièrement les Français nés aux colonies avec les étrangers, — ce qui est d’autant plus inexplicable que ces Français nés aux colonies y ont subi leurs examens devant les commissions militaires composées de métropolitains, il eût été plus logique d’accueillir avec empressement ces diplômés qui ont l’expérience des maladies et de la thérapeutique coloniales, et il est certain que, bénéficiant des travaux de plusieurs générations de praticiens, ils connaissent des traitemens antipaludiques supérieurs à ceux qui sont prescrits par les Européens sans usage des pays tropicaux.

Les médecins civils de nos Facultés eux-mêmes peuvent se plaindre justement[2] que la part ait été mesurée trop belle à leurs confrères du corps de l’Etat par le décret de 1898, appuyé sur des faits fort contestables qui n’ont pu être fournis que par ces derniers. Ce décret a pour résultat d’éliminer des colonies nouvelles les praticiens indépendans qui y vivraient aisément si, en dehors de leur clientèle privée, fatalement incertaine, ils étaient utilisés par l’Administration au service des hôpitaux indigènes, comme cela a lieu dans les anciennes colonies, moyennant des subventions bien inférieures au prix de revient des chirurgiens de l’Etat. Au lieu d’attirer l’élément civil instruit, on a pris toutes les mesures qui pouvaient l’écarter : cependant, il est seul propre à créer dans nos nouvelles possessions des familles qui s’y

  1. C’est à eux seuls que les commandes du Gouvernement général sont faites lorsque les magasins de l’État sont vides, sans adjudication : le pharmacien en chef sait qu’ils exigent alors des prix élevés.
  2. Voyez le Concours médical du 28 décembre 1901.