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n’est pas malgache, sabir anglo-franco-hova qu’on accrédite et impose administrativement par l’intermédiaire des maîtres d’école. Les caractères, substitués aux anciens caractères par les missionnaires anglais en 1861, ne sont pas malgaches ; l’orthographe, difficile et fantaisiste, est encore l’œuvre des pasteurs, comme la syntaxe ; et l’esprit même d’une syntaxe correspond le moins du monde à la mentalité indigène, surtout l’esprit de celle qui est codifiée dans les grammaires malgaches, combinaisons tâtonnantes d’esprits européens peu souples et intelligens, raffinées ensuite à l’excès par des administrateurs érudits comme M. Julien, professeur à l’Ecole coloniale, dont la grammaire compliquée tend à transformer le malgache amorphe en langue savante.

Enfin, comme à Madagascar il n’y a point un idiome unique, c’est le dialecte hova, « le moins malgache de tous, au dire des philologues, et certainement assez différent des autres pour créer une grande difficulté aux Sakalaves et aux Betsimisares[1], » qu’on a élu pour dialecte officiel et qu’on impose ainsi aux autres peuplades, quoiqu’elles détestent les Hovas, ce qui est encore le moyen le plus efficace de travailler à la suprématie de ces derniers. Nous avons vu à Mahanoro un professeur de malgache envoyé de Tananarive qui ne pouvait se faire comprendre de ses élèves. On perçoit alors à quel surmenage de polyglottisme les enfans de races déjà affaiblies sont assujettis : parler leur propre dialecte vulgaire, apprendre le hova savant, son orthographe et sa grammaire, puis le français, son orthographe et sa grammaire, sans compter que, l’évolution naturelle et fatale de la colonisation, les mettant surtout en contact avec les créoles noirs, ils s’entretiennent avec eux en petit-nègre. Certains instituteurs sont les premiers à reconnaître qu’ils en sont littéralement ahuris ; et d’ailleurs autrefois en Hindoustan, on constatait peu de progrès dans les écoles parce que, dans toute la péninsule, les livres étaient imprimés en hindi pur qu’il n’était pas plus logique d’inculquer à tous les indigènes que de restaurer l’arabe littéral en Algérie.

Certes, on ne pouvait songer à remplacer subitement du Nord au Sud de l’île le malgache par le français, et tout le monde est

  1. Selon M. Deschamps lui-même qui établit que, « pour ceux-ci, le dialecte hova, loin d’être leur langue maternelle, est presque une langue étrangère. » Mais c’est pour demander que des livres soient publiés dans tous les dialectes : on voit quelle dépense et à quoi cela aboutirait : à créer autant de « mentalités » futures que de peuplades.