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le dimanche, au prône, affichés aux arbres des routes et aux coins des carrefours. Mais la réponse de Mandrin ne se fit pas attendre.

— Ah ! dit-il en substance, en s’adressant aux fermiers généraux, vous voulez par un coup de force écarter de moi les cliens et m’empêcher de vendre mes tabacs et mes indiennes ; eh bien ! c’est vous-mêmes qui allez m’acheter mes marchandises, vous, fermiers généraux, par l’intermédiaire de vos représentans, directeurs des Fermes, percepteurs et receveurs, commis, entreposeurs et buralistes.

Sitôt dit, sitôt fait. Et l’on ne sait de quoi il faut s’étonner davantage, du caractère imprévu et spirituel de l’entreprise, ou de la hardiesse et du succès avec lesquels elle fut exécutée.

Le 29 juin, Mandrin passait à Cransac ; le 30, il arrivait à Rodez. C’était jour de foire. La place du marché, au pied de la pittoresque cathédrale sans portail, était grouillante de vie et de mouvement.

La capitale du Rouergue était entourée de fortifications imposantes ; des soldats y étaient en garnison et trois brigades de maréchaussée y étaient postées pour le bon ordre. Mandrin entre dans Rodez comme un condottiere en pays soumis. Il s’arrête un instant sur la place de la Cité, descend le Terral, rue qui va de la cathédrale à l’évêché, et se rend au faubourg Saint-Cyrice, où, à un point stratégiquement bien choisi, il organise un entrepôt public de contrebande. Quelle surprise sur son passage et quelle jolie rumeur sur la place du marché ! Les paysans en sarraux bleus, les femmes en coiffes tuyautées, leurs cols de dentelles sur les épaules, se bousculent parmi les paniers de légumes, les volailles nouées en bouquets par les pattes, les veaux et les moutons, cherchant à se pousser au premier rang. Des cochons qui s’échappaient faisaient tomber des paysannes. Par les fenêtres des vieilles maisons de bois, aux murs tout de guingois et aux charpentes apparentes, en surplomb sur la rue, les Ruthénoises montraient des têtes ahuries, les unes en cheveux, les autres en coiffes blanches.

Voilà les contrebandiers ! Une troupe de gamins, l’air bravache, les précédaient d’un pas martial. Le cortège s’ouvrait par des tambours qui roulaient et par des fifres qui sifflaient une marche militaire. Une centaine de cavaliers sur de petits chevaux roux et hirsutes, hirsutes et roux comme eux, coiffés