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leurs armes, lacérèrent leurs registres et disparurent, comme ils étaient venus, avec la vitesse du vent, après les avoir menacés « de leur faire un mauvais parti, s’ils continuaient de faire leur métier. »

Voilà Mandrin. Il a déclaré la guerre aux fermiers généraux et à leurs agens, qui l’ont ruiné, qui ont tué son frère et qui pillent les pauvres gens. Au reste, il ne laisse pas de se montrer bon prince ; que si tous ces commis voulaient abandonner leur vilaine profession, il serait le premier à leur tendre la main.

Le 5 janvier, Mandrin « perce » en France, à la tête de ses hommes : une centaine de bandits, avec armes et bagages, de petits canons à la biscaïenne et une quantité considérable de marchandises portées à dos de mulet. C’était surtout du « faux tabac, » c’est-à-dire du tabac de contrebande récolté en Suisse ; pour les dames, des indiennes et des mousselines brodées, étoffes qui n’étaient pas encore fabriquées en France et qui venaient, les unes des manufactures suisses, les autres directement des Indes, par les bateaux anglais.

Chacun des contrebandiers était armé d’un mousquet, de deux pistolets de ceinture, de deux pistolets d’arçon et de deux pistolets de poche, chacun à deux coups. Et nombre d’entre eux avaient encore un pistolet dans l’aile de leur chapeau ; en outre, un couteau de chasse. Ils étaient montés sur des chevaux petits, robustes et agiles, nourris dans ces pays de montagnes où les cultivateurs, et plus spécialement les curés, — nonobstant les défenses des évêques d’Annecy et de Grenoble, — en faisaient l’élevage pour eux. Quand les contrebandiers ne les achetaient pas, ils les louaient très cher pour la saison d’hiver. En marche, ces chevaux se distinguaient pas un harnachement particulier nommé « à la contrebandière. »

Sur ces montures vites et nerveuses, nos compagnons franchissaient, en plein hiver, des distances considérables, avec une incroyable rapidité.

Le 7 janvier, Mandrin est au village de Curson, près de Romans, — non loin du pays natal, — et y dépose des marchandises. Apprenant que les employés des Fermes viennent l’attaquer, il va à leur rencontre avec une poignée d’hommes seulement. La route est prise comme dans un étau entre de hautes collines. Brusquement elle tourne pour franchir un pont sur le torrent de l’Herbasse. C’est à ce point que les gâpians ont apparu.