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Le peuple était bienveillant aux contrebandiers et faisait leur force. « La fortune des fermiers généraux, écrit le chevalier de Goudar, choque généralement tout le monde. Cette haine est d’une conséquence infinie pour l’Etat. » Les « cabaretiers, fermiers et autres gens de campagne » donnaient retraite aux hardis compagnons, ils abritaient et cachaient leurs marchandises ; ils leur fournissaient les vivres nécessaires. Pour leur servir de guides, les fermiers autorisaient leurs valets à s’absenter. Les curés de campagne étaient pour les contrebandiers des amis dévoués. C’est un des traits marquans de ce récit. Le contrôleur général ne cesse d’en porter plainte aux intendans : « Les curés usent de faux tabac (tabac de contrebande). Leurs maisons servent d’asile et d’entrepôt aux fraudeurs (contrebandiers), dont ils cachent les marchandises jusque dans leurs églises. » Les gentilshommes toléraient les dépôts de contrebande dans leurs châteaux. Ils ne détournaient pas leurs vassaux de cette carrière aventureuse. Les magistrats du Parlement de Grenoble, non seulement favorisaient les margandiers, mais ils entraient, en qualité de commanditaires ou bailleurs de fonds, dans des sociétés formées pour le développement de leurs entreprises.

Jusqu’aux troupes mises en ligne contre ces révoltés qui sympathisaient avec eux. « Le soldat, écrit Fontanieu, favoriserait le contrebandier s’il n’était contenu, parce qu’il pense comme le peuple. »

Fontanieu était intendant du Dauphiné, où il fit une étude approfondie de l’organisation de la contrebande.

Les affreux supplices, auxquels les contrebandiers s’exposaient, accroissaient à leur égard la sympathie populaire. Parlant des peines que les fermiers généraux avaient fait décréter contre ceux qui osaient entreprendre de diminuer leurs profits, Montesquieu les qualifie d’ « extravagantes. » « Toute proportion est ôtée, ajoute-t-il. Des gens, qu’on ne saurait regarder comme des hommes méchans, sont punis comme des scélérats. » Et la Cour des aides, par la bouche de Malesherbes, en adressant au Roi ses fameuses remontrances de 1775 :

« Il n’est pas possible que Votre Majesté ne soit pas instruite de la rigueur des lois pénales prononcées contre la contrebande. Ceux qui s’en rendent coupables ne sont pas habitués à la regarder comme un crime. Ils y ont été élevés dès l’enfance ; ils ne connaissent d’autre profession. Et quand ces malheureux sont