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regarder « moins comme un voyage que comme des Mémoires d’une année de sa vie. » Il est allé chercher des images pour écrire les Martyrs, et aussi chercher de la gloire pour se faire aimer. « C’est l’homme beaucoup plus que l’auteur que l’on verra partout ; je parle éternellement de moi. » C’est lui en effet que nous apercevons méditant sur les fûts brisés des temples de la Grèce ou dans les sanctuaires de Palestine, comme il a fait naguère dans les forêts de l’Amérique, sur les chemins de l’Allemagne, dans les bruyères de l’Angleterre, dans les champs de l’Italie. Ce sont les aventures de sa sensibilité qu’il nous conte. Il est le centre autour duquel s’organisent les spectacles de l’univers ; et ces spectacles n’ont pas de valeur en eux-mêmes, ils n’en prennent qu’en se reflétant dans son âme. Nous en dirions tout autant du Voyage en Orient de Lamartine. L’impulsion est donnée. La littérature de voyages est créée, mais sous les espèces de « l’impressionnisme. » Certes, la méthode n’est pas à rejeter purement et simplement ; mais il faut savoir ce qu’on peut en attendre : elle vaut exactement ce que vaut celui qui l’emploie. Un poète, tel qu’est Pierre Loti, en tirera de merveilleux effets : M. Victor Giraud le montrait ici même en des pages auxquelles il me suffit de renvoyer le lecteur. En revanche, on ne saurait assez dire ce que ce genre nous a valu de frivoles bavardages et de niaiseries prétentieuses.

Tout le progrès qui s’est fait dans la littérature de voyages a consisté à la dégager de cet impressionnisme. Plusieurs y ont contribué dont les ouvrages marquent autant d’étapes. C’est Théophile Gautier promenant à travers Espagne ou Russie son indifférence admirative. C’est Taine appliquant à l’étude de la société et des arts en divers pays les mêmes théories par lesquelles il rendra compte des œuvres de la littérature ou des événemens de l’histoire. Ç’a été surtout Fromentin, dont quelques indications restent décisives. Dans les pages de Une année dans le Sahel, où il expose sa théorie de l’orientalisme, les principes qu’il établit valent aussi bien pour l’écrivain de voyages que pour le peintre de paysages. « L’Orient est très particulier. Il a ce grand tort pour nous d’être inconnu et nouveau, et d’éveiller d’abord un sentiment étranger à l’art, le plus dangereux de tous et que je voudrais proscrire : celui de la curiosité. Il est exceptionnel, et l’histoire atteste que rien de beau ni de durable n’a été fait avec des exceptions. » Fromentin insiste sur la difficulté qui consiste d’une part à donner le signalement exact du pays, et d’autre part à dégager le beau du bizarre. Il conclut en rapportant un propos que lui tint un paysagiste célèbre, son maître. Certain jour, étant au bord de la Seine,