Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sous la poussée du progrès, le Napoléon inaugura le règne des vaisseaux mixtes. Les officiers ne se plièrent pas aisément aux habitudes nouvelles qu’apportait ce changement dans la propulsion. Ils appelaient « tourne-broche » la machine (auxiliaire à cette époque) que l’on ne mettait en branle que pour atterrir ou par calme plat persistant. Ils traitaient les mécaniciens de « charbonniers, » et les chauffeurs, de « sauvages de la tribu des Pieds Noirs. »

Vivant à l’air libre, les officiers de vaisseau regardaient du haut de leur grandeur ce personnel grouillant dans les fonds. Un officier de quart sur la passerelle d’une frégate mixte, gêné par les flots de fumée noire que vomissait la cheminée, criait par le porte-voix cet ordre étrange, en traînant sur la dernière syllabe : « Chauffez sans fumée ! » Il y avait dans ces trois mots de la suffisance, de la suprématie indiscutable, de l’ironie, du persiflage et, aussi, un grain de dépit. Ne fallait-il pas se résigner maintenant à vivre dans une atmosphère d’escarbilles au parfum d’huile bouillante ?

Que de changemens depuis cette époque ! La coque est double, non plus en bois, mais en acier. On la divise en compartimens par des cloisons étanches ; on boulonne à l’extérieur une cuirasse protectrice.

L’artillerie a marché à pas de géant. L’augmentation du calibre a amené la diminution du nombre des pièces. Un vaisseau de premier rang portait jusqu’à 120 canons. Un cuirassé en possède une douzaine, sans compter l’artillerie légère, destinée à foudroyer les torpilleurs. Au lieu de les aligner, — d’un bout à l’autre du navire, suivant les rangées de sabords, — on les monte en tourelles fermées, soit isolément, soit à raison de deux par tourelle.

Et les machines ! Par l’accroissement de la pression, la diminution du poids par cheval et l’augmentation du nombre des tours, on obtient des vitesses inconnues autrefois.

Outre ses deux ou trois moteurs principaux, chaque grand bâtiment possède une quantité de machines auxiliaires : pompes d’épuisement, ventilateurs, escarbilleurs, servo-moteurs, cabestans, treuils, etc. La nécessité de l’alimentation des chaudières à l’eau douce entraîne des installations compliquées ; le cloisonnement exige une ventilation très efficace des compartimens.

On a inventé les torpilles, les bateaux sous-marins, et l’on perfectionne ces engins de jour en jour.

L’électricité assure, en service courant, non seulement l’éclairage, mais aussi les transports de force (gouvernail, cabestans, tourelles).