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le monstrueux procès, partout institué de Français à Français à la veille de Brumaire, ne mettait plus aigrement aux prises les citoyens d’une même patrie. Querelles entre catholiques soumissionnistes ou non-soumissionnistes, entre papistes et constitutionnels, entre constitutionnels et tenans des cultes civiques, entre tous les cultes et la libre pensée agressive au pouvoir. Lorsque Bonaparte prit en main la balance où il pesait si soigneusement les intérêts en apparence opposés, il ne se pressa point de prononcer. Il laissa la balance osciller lentement et longuement avant de jeter d’un côté l’épée de Marengo. Lorsqu’il l’y jeta, c’est que décidément le plateau romain l’emportait. On lui a reproché de n’avoir pas maintenu, en l’appliquant loyalement, la séparation décrétée ; mais la séparation est une question d’opportunité. Or, la France était-elle mûre pour la liberté religieuse ? Le régime de Brumaire pouvait-il l’accorder ?

Le pays restait foncièrement catholique. Le fait était indéniable. Un homme d’Etat pratique et réaliste, ainsi que l’était le premier Consul, devait s’incliner devant une constatation dont la preuve lui était fournie par des hommes bien peu suspects. Fourcroy, membre de l’Institut, et l’un des philosophes les moins disposés à se convertir personnellement, envoyé en mission dans les départemens, reconnaissait la défaite définitive de la philosophie. « Ma politique, déclarait alors Bonaparte, est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être. C’est là, je crois, la manière de reconnaître la souveraineté du peuple. »

Mais il fallait s’attendre à voir, si l’on s’inclinait purement et simplement devant le fait, les prêtres « réfractaires » reprendre possession des églises. Or ils restaient presque tous hostiles à la Révolution, à ses conquêtes, à ses lois et à la République. Pourrait-on empêcher les prélats émigrés de rentrer triomphalement dans leurs diocèses, excommuniant les constitutionnels vaincus ou les contraignant à désavouer leur conduite ; , faisant rendre gorge par des menaces aux propriétaires de biens nationaux, et érigeant en face de l’Etat républicain une puissance qui l’eût tout au moins contrecarré dans son œuvre de pacification ?

De tels événemens ne se passeraient point sans troubles profonds jusque dans l’Eglise, et bien des prêtres catholiques redoutaient ce retour en masse du clergé réfractaire. Les églises tenues pour propriétés nationales étaient investies par les constitutionnels en très grande majorité. L’Etat se pourrait-il prêter à les en