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auquel ils ont appartenu… Ralliez tous les cœurs dans un sentiment commun : l’amour de la patrie… Jugez les hommes non sur les vaines et légères accusations des partis, mais sur la connaissance acquise de leur probité et de leur capacité. Les méchans et les ineptes sont seuls exclus de la confiance et de l’estime du gouvernement ; n’admettez pas d’autres titres d’exclusion à la vôtre. Dans vos actes publics et jusque dans votre conduite privée, soyez toujours le premier magistrat du département, jamais l’homme de la Révolution. » Quel ministre de l’Intérieur depuis 1815 a parlé ce langage ?

Les préfets s’y conforment. Dans son livre récent sur Beugnot, préfet du Consulat, M. Dejean nous fait connaître avec quelle fidélité un des représentais de Bonaparte applique cette politique. Dans son département, l’ancien législateur de 1791 s’assoit à son tour sous le chêne de Vincennes et, prêchant l’oubli des querelles, ne songe qu’à utiliser les capacités en négligeant les opinions d’hier ou d’avant-hier. Et des Alpes à la mer du Nord, du Rhin aux Pyrénées, la paix consulaire se répand. Les plus sceptiques doivent bientôt reconnaître qu’ils ont eu tort de douter : les violens s’inclinent ; les honnêtes gens triomphent.

Voici d’autres conflits encore à apaiser. Le militaire a pris depuis bientôt trois ans dans l’Etat une place bien singulière : le temps n’est plus où les représentans en mission destituaient les généraux et où le Comité leur faisait couper la tête. Depuis que le gouvernement directorial, après avoir en vain appelé Hoche contre les Conseils, les a fait, au 18 fructidor, décimer par Augereau, le militaire parle haut, ce qui est un bien grand danger dans l’Etat. Par surcroît, on a, dans les derniers mois, excité sa passion. Sieyès a entendu lancer Joubert et Moreau avant Bonaparte contre les jacobins du Parlement et ses collègues du Directoire, et peu s’en est fallu que Jourdan, Bernadotte et Augereau ne fussent appelés par ceux-ci à la rescousse. Sous ces chefs turbulens, forts de leurs victoires, avides d’argent, tentés par l’ambition, les soldats s’estiment puissance redoutable et par conséquent respectable. Un des leurs a été porté au suprême pouvoir : mais s’ils le tiennent pour grand, tous ne l’estiment point plus grand qu’eux. Bonaparte n’est pas maître encore de ces terribles généraux. Il devra bientôt compter avec eux ; il devra abandonner l’armée de l’Ouest à Bernadotte dont le profil d’aigle l’inquiète, en dépit de Fouché affirmant que « l’aigle est