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Il était à prévoir que les partis extrêmes écouteraient sans faveur une telle parole. Ils avaient pris l’habitude de régner ou de se battre ; les chefs y voyaient une carrière. Que d’humbles avocats, de procureurs, de professeurs et de médecins étaient maintenant députés influens, tout près du pouvoir suprême, et que de modestes artisans s’étaient crus au Capitole, parce qu’ils présidaient le club où les « coups » se préparaient ! Que de gentillâtres aussi qui, avant 1789, n’eussent jamais vu Versailles, se croyaient en passe de devenir, au retour du Roi toujours annoncé pour le lendemain, lieutenans généraux ou, au bas mot, maréchaux de camp, parce qu’ils tenaient la lande avec la cocarde blanche au chapeau ou conspiraient dans une mansarde de la rue Saint-Honoré ! Ceux-là seraient irréductibles tant qu’ils auraient l’espérance de réussir : il fallait la leur enlever. Le premier procédé serait tout d’abord d’essayer de les convaincre, chefs jacobins ou chefs royalistes, — et il était loyal de leur parler en face.

C’est pourquoi Bonaparte, remettant au lendemain de Brumaire toute poursuite contre les députés récalcitrans de la gauche des Conseils, convia d’un geste large deux des chefs les plus illustres de la faction jacobine à la réconciliation : Jourdan et Bernadotte. Jourdan s’inclina devant la clémence. Bernadotte désarma devant le succès. Quant aux chefs civils, il n’en était plus guère : le parti républicain était proprement décapité. La place de la Révolution avait vu tomber les têtes de tant de « grands républicains, » de Vergniaud à Saint-Just, de Desmoulins à Hébert, de Danton à Robespierre ! Barras et Tallien avaient connu un pire sort, en succombant sous le mépris public ; moralement ils étaient morts. Ceux-là, le premier Consul les laisserait couler. A quelques-uns, Sieyès et ses amis, il ferait une retraite dorée. Mais à d’autres, chez lesquels, derrière le masque du terroriste, il avait discerné des parties d’hommes d’Etat, il offrit mieux, une part à l’œuvre commune de réconciliation et d’organisation. Carnot va être ministre ; Real sera conseiller d’État avec Boulay de la Meurthe ; Merlin va devenir haut magistrat, le procureur général du régime ; et sans parler de Jeanbon-Saint-André, préfet, et de Garat, sénateur, Fouché, à moitié chemin entre Lyon et Otrante, reste investi du ministère politique par excellence, celui de la Police. Dignement, des républicains repoussèrent des offres : Rewbel, Lindet, Larevellière restèrent