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embryon ; sans une récolte certaine et abondante de cocons, l’établissement de filatures industrielles est impossible. Mais il n’est pas impossible qu’elles se fondent bientôt, aidées par une invention récente de dévidoirs qui réduit grandement le prix de main-d’œuvre.

En tout cas, il est curieux de constater partout cet effort inlassable pour créer sans cesse, étendre le domaine agricole, en pénétrer toutes les avenues, y adjoindre de nouvelles branches, sans se rebuter ni s’étonner des échecs, sans se laisser arrêter par des difficultés dont la moindre dégoûterait un cultivateur du vieux monde. Ici le citoyen et l’Etat marchent de concert à la découverte, hardis, entêtés, âpres à la peine et décidés à réussir.

Tels sont les faits nouveaux dans les champs, les bonnes révolutions, peu bruyantes, mais efficaces, qui m’ont frappé et dont j’ai groupé le faisceau pour le présenter au lecteur, un peu sèchement peut-être et en m’abstenant volontairement d’y plaquer aucun ornement descriptif. Les paysages d’Amérique ont traîné partout, et ce pays singulier, qui a gagné en tout, n’a pas, que je sache, gagné en esthétique au cours des dernières années, ni dans les choses, ni dans les gens. Même il n’est pas besoin d’avoir le sens artiste très développé pour souffrir de ce manque de pittoresque. Les champs, aux Etats-Unis, ne sont pas poétiques ; ils ne sont pas séduisans.

Quoiqu’il y ait beaucoup moins de grands latifundia et d’outillages à vapeur qu’on ne le dit, que la petite et la moyenne exploitation soient la règle, et que j’aie vu pour ma part dans le Kansas vingt charrues à un et deux socs, pareilles aux nôtres, pour une charrue du dernier modèle à quatre et six socs, le cultivateur américain ne ressemble pas pour cela à celui d’Europe. L’homme qui trace ici le sillon avec son quadrige de labour n’a pas la sérénité de notre paysan ; il ne donne pas cette impression de paix et de pérennité, qui vient d’une sorte d’incorporation au sol, d’une cristallisation de l’âme rurale. Cette âme, l’implacable fatalité des choses, placidement acceptée, la fait chez nous comme participante aux forces de la nature. Le rural transatlantique n’a pas la simplicité attachante de notre peuple champêtre qui, malgré ses finesses et ses roueries, a des parties naïves, conservées sous une couche de saine ignorance.

Le paysan du vieux monde a des désirs bornés ; il est le seul