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à droite, au centre, à gauche, des voix nombreuses se sont prononcées contre un ministère qui avait si fortement contribué à accumuler les ruines au milieu desquelles il se débattait dans un lugubre désarroi. Comment en aurait-il été autrement après le vigoureux réquisitoire dans lequel M. Charles Benoist, après avoir dénoncé les vices du régime, était remonté à leurs causes véritables, historiques et philosophiques, et en avait tiré des leçons en les appliquant à qui de droit ? « Je ne dirai pas, s’est-il écrié, que la France soit à refaire. Non, non ! Mais il y a beaucoup à refaire en France, quand ce ne serait que pour empêcher la France de se défaire. Vous allez rétablir, au prix de combien de sang versé, l’ordre dans le Midi. Mais quand vous aurez rétabli l’ordre dans la rue, votre œuvre ne sera pas achevée ; elle ne fera que commencer. » — « C’est absolument mon avis, » a interrompu M. Clemenceau. — Mais il n’a plus applaudi lorsque M. Charles Benoist a conclu par ces mots décisifs : « Il est temps de rappeler au pays cette vérité élémentaire sur laquelle toute, politique doit être assise : on ne gouverne ni par la révolution, ni avec des révolutionnaires. »

Bien qu’un assez grand nombre d’orateurs y aient pris part, la discussion a manqué d’ampleur : on y sentait de l’embarras et de la gêne. Un moment, toutefois, M. Clemenceau a été l’objet d’une attaque personnelle et directe. M. Millerand est monté à la tribune au milieu d’un grand silence : on a cru que quelque chose d’important allait se passer. Mais il n’y a eu rien de tel. M. Millerand, après avoir accablé le ministère sous le poids de ses fautes, a énoncé, non sans imprudence puisqu’il ne pouvait pas y bien répondre, l’objection qui était dans beaucoup d’esprits : « Quels que soient, s’est-il demandé à lui-même, les reproches que vous ayez à lui adresser, pouvez-vous proposer d’ouvrir une crise ministérielle, alors que le gouvernement lutte contre l’émeute, alors qu’il est contre elle en pleine action ? » Objection très forte, en effet : comment M. Millerand l’a-t-il résolue ? « J’avais cru jusqu’à présent, a-t-il dit, avec tous mes amis, avec tous mes maîtres, que la supériorité du régime républicain était précisément d’être un régime impersonnel, où les hommes pouvaient être facilement remplacés. Et vous diriez qu’un gouvernement en qui vous n’auriez pas confiance ne pourrait pas être remplacé, en vingt-quatre heures, par un autre gouvernement républicain ? C’est impossible, messieurs. » Le mot n’a eu aucun succès. C’est pur enfantillage de dire que, sous la République, un ministère est plus facile à remplacer que sous un autre gouvernement. Nous avons assisté, sous la