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a remis une lettre de M. Marcelin Albert qui demandait à lui parler. M. Clemenceau a l’esprit vif et la résolution prompte : il n’a pas hésité à recevoir l’agitateur du Midi. Nous ne l’en blâmerons pas. Toutefois M. Albert étant sous le coup d’un mandat d’arrêt, sa présence au ministère de l’intérieur et sa conversation familière avec M. Clemenceau ont ajouté encore quelque chose à l’incohérence de la situation. Tout y est paradoxe : on voit des généraux parlementer avec des soldats révoltés, et un président du Conseil avec un prévenu qui devrait être en prison. La seconde scène a d’ailleurs moins d’inconvéniens que la première. Probablement, lorsqu’il a reçu M. Marcelin Albert, M. Clemenceau a voulu faire un beau geste. On lui a beaucoup recommandé d’en faire dans les journaux et même à la tribune ; mais comment ? M. Albert et M. Ferroul en avaient fait de très beaux dans le Midi ; ceux de M. Clemenceau avaient consisté seulement à envoyer des mandats d’arrêt et des soldats ; ils manquaient incontestablement de beauté. Mais il a reçu M. Albert, il l’a écouté, il l’a sermonné, il s’est vanté de l’avoir fait pleurer, il ne l’a pas fait arrêter, il l’a renvoyé avec un sauf-conduit et même avec un billet de cent francs pour payer son voyage. Ce sont là des gestes qui ne manquent pas d’élégance ; malheureusement ils n’auront servi à rien. Pauvre Marcelin Albert, âme naïve et faible que sa responsabilité subitement entrevue a effarouchée et épouvantée ! Sa gloire aura été plus courte encore que nous ne l’avions, prévu : la démarche qu’il a faite auprès de M. Clemenceau, l’a dissipée. Une fois revenu à Argeliers, il a senti passer sur son front le souffle glacial du soupçon. Son prestige n’était déjà plus. L’infortuné prêchait la conciliation : son comité, avec une obstination dure et bornée, a décidé de continuer la résistance, et a intimé au rédempteur déchu l’ordre d’aller se constituer prisonnier, ce qu’il a fait. Que ne s’est-il laissé arrêter il y a quelques jours comme M. Ferroul ! Rien ne conserve mieux une popularité que la prison : et quoi de plus commode ? on n’a plus rien à faire. M. Marcelin Albert ne l’a pas compris assez tôt : il n’est plus désormais qu’une lamentable épave, également inutile à l’agitation qui se poursuit, et à l’apaisement qui se fera un jour sans lui.

Il nous reste à parler des conséquences parlementaires de tous les incidens où la tragédie et la comédie se sont si étroitement mêlées. La Chambre devait évoquer l’affaire par devers elle, et demander des explications au gouvernement. Elle n’y a pas manqué ; mais elle a senti tout de suite que sa liberté n’était pas entière. Le gouvernement