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monter par un escalier dans le petit espace qui entourait la scène. Parmi une masse de cordes, d’anneaux, de planches, de rideaux et de décors, je vis s’agiter autour de moi des douzaines ou peut-être des centaines d’hommes peints et déguisés… sans compter les femmes…

« Tout cela était des chanteurs ou des choristes, des danseurs et danseuses de ballet, attendant leur tour… Je parvins enfin au fauteuil que je devais occuper et je vis, à l’orchestre, une grande troupe de musiciens, assis auprès de leurs instrumens : violonistes, flûtistes, harpistes, cymbalistes et le reste… Sur une estrade, au milieu d’eux, entre deux lampes à réflecteur, se tenait assis le chef d’orchestre, un bâton en main, dirigeant non seulement les musiciens, mais aussi les chanteurs sur la scène[1]. »

Et Tolstoï alors se demanda : « Dans ce théâtre, que faisait-on ? Pourquoi travaillait-on ? Et pour qui ? »

J’avoue qu’à cette question une œuvre telle que la Catalane, et beaucoup d’autres qui l’ont précédée et qui la suivront, ne fournit pas de réponse. On dira seulement, « dans ce théâtre, » et je crois même l’y avoir entendu dire, qu’un ouvrage de cette espèce constitue ou représente une des obligations, une des « charges » de certain cahier qui porte ce nom accablant et qui, j’en conviens, le justifie.

Quoi qu’il en soit, de semblables exemples dénoncent assez le péril, singulièrement grave, où, plus que les autres arts, la musique, et surtout la musique de théâtre, est par sa nature même exposée : c’est le contraste et la disproportion, pour elle écrasante, entre l’abondance, l’importance aussi des causes ou des moyens, et la médiocrité des effets, ou leur néant.

Encore une fois, deux auditions de cette œuvre ne nous en ont rien révélé. C’est de la musique épaisse, au point de paraître impénétrable. Elle occupe et remue à grand’peine un orchestre massif et bruyant, sur lequel les voix jettent ou poussent des cris. Et durant cette longue, et lourde, et morne représentation, l’on ne goûta qu’un moment de joie légère : ce fut pendant l’agréable ballet dansé par les pieds ailés de Mlle Zambelli.


Mais cette fin de saison, surabondante en musique, nous réservait de moins pénibles soirs.

On lit dans une ancienne lettre de Borodine, l’auteur du Prince Igoz : « Nous autres Russes, mangeurs de chandelle, ours blancs, etc.,

  1. Tolstoï, Qu’est-ce que l’art ? traduction de M. de Wyzewa ; 1 vol. Perrin.