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département est, en réalité, député de la nation tout entière. S’il est élu dans un département, c’est parce qu’on ne peut réunir toute la nation dans un même collège ; mais il représente au même degré toutes les parties du territoire. On ne peut pas nier que les minorités, dans notre pays, soient représentées à la Chambre et qu’elles le soient même d’une manière satisfaisante[1] !


En réalité ! on lit bien : en réalité ! Mais regardez-la, la réalité ! « regardez vos circonscriptions ! » Dans la réalité, le sophisme est de dire que « la représentation est nationale, » que le député est « député de la nation tout entière ; » — et le sophiste, — puisque sophiste il y a, — c’est M. Ruau lui-même, ou M. Waldeck-Rousseau sur l’autorité duquel il s’appuie, et à la charge duquel demeurent au surplus, en ces matières électorales, qu’il traitait un peu trop oratoirement, quelques autres aphorismes de la même valeur.

Que les minorités, dans notre pays, soient représentées à la Chambre, soit : on ne peut pas nier, évidemment, que notre histoire parlementaire n’a encore jamais vu, et probablement ne verra jamais, quelles que soient les aberrations de notre régime électoral, une assemblée où il n’y ait qu’une majorité, sans la moindre trace, le moindre vestige, la moindre survivance d’opposition, sans quelque témoin même des âges disparus et des partis déclassés ou dépassés ; mais qu’elles soient, ces minorités, représentées « d’une manière satisfaisante, « c’est une autre affaire, et c’est ce qu’on peut nier, et c’est ce que l’on nie. « Elles le sont beaucoup trop ! » insinuait avec un sourire M. René Goblet, à la fois homme d’État et homme d’esprit, mais, en la circonstance, plus homme d’esprit qu’homme d’Etat. Si les minorités sont trop représentées, elles ne sont pas représentées ; et elles ne le sont pas non plus, si elles ne le sont pas assez : dans l’un et l’autre cas, elles ne le sont pas comme elles doivent l’être, selon la règle : à chacun sa part. Elles peuvent l’être par hasard ou par raccroc, au petit bonheur, à l’aveuglette, à la fortune du pot : disons plus noblement, et en style consacré, de l’urne. Mais ni le hasard, ni un raccroc, ni le petit bonheur, ni l’aveugle fortune ne sauraient, de trop et de pas assez, faire ce qu’il faut ; de deux iniquités opposées faire le droit ; et se satisfaire de ce qu’ils nous laissent, ou de ce qu’ils ne nous prennent pas, c’est se satisfaire à bon compte.

  1. Rapport Ruau, cité plus haut.