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Trop souvent, en effet, l’élu ne mérite le nom de représentant que dans le sens commercial du mot ; il est, auprès des pouvoirs publics, le mandataire des ambitions privées, des intérêts particuliers. Propositions de loi, rapports, amendemens,… chaque jour apporte ses travaux auxquels le député le plus consciencieux n’a point le temps de consacrer l’attention nécessaire. Comme on l’a déjà dit avec beaucoup d’esprit, s’il n’est pas à la Chambre, il fait antichambre ; s’il n’assiste pas aux commissions, il en fait. Et, comme tout le monde se plaît à le proclamer, les rouages administratifs sont faussés par ses interventions obligatoires. Que ce régime dure quelque temps encore, le pouvoir sera sans contrôle, la députation sans autorité, et le système représentatif devenu une fiction.

Certes, avec ce régime, les liens entre l’électeur et l’élu sont plus étroits et plus directs. Mais alors la valeur du programme se mesure moins à la qualité de la doctrine qu’à la popularité du candidat. On vote par sympathie, non par principe. Et, avec ce système, il est impossible de créer dans le pays un grand courant d’opinion.

On a vu, sous de précédentes législatures, des circonscriptions suivre docilement leur mandataire dans toutes leurs évolutions progressives ou contradictoires. Et c’est encore, en effet, un vice du scrutin uninominal que de favoriser les programmes souples et généraux, ductiles et malléables, où chacun peut trouver la défense de ses propres opinions sans que l’adversaire y perde rien des siennes. Cela facilite, dans les ballottages, les unions hétéroclites des partis en désarroi.


Avantages du scrutin de liste : il assure plus de liberté et de sincérité dans le vote ; il permet mieux la manifestation des grands courans d’opinion ; il substitue à la lutte des personnes la lutte des idées ; il donne au suffrage universel un organe incomparablement plus puissant pour se manifester et pour imposer sa volonté souveraine ; surtout il possède l’immense avantage de donner à chaque département un nombre de représentans proportionnel à sa population et de faire ainsi disparaître aisément. les criantes iniquités du système actuel[1].

On voit que nous tournons toujours dans le même cercle ; et bien qu’il le dise différemment, ce que dit M. Paul Bignon, ce qu’il vient de dire et ce qu’il y ajoute que : « dans le scrutin de liste, et par lui, l’élu prend conscience d’une vie régionale dont les projets de décentralisation, qui sont à l’ordre du jour, recommandent l’urgence ; et qu’il y appliquera dans le détail la grande règle politique qui doit être le sacrifice des égoïsmes

  1. Proposition de loi ayant pour objet le rétablissement du scrutin de liste et la réduction du nombre des membres de la Chambre des députés, présentée par M. Paul Bignon, député. — Annexe au procès-verbal de la séance du 8 mai 1907. Neuvième législature, session de 1907, n° 935.