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d’arrondissement, vous aurez des commissionnaires de département. Le régime n’y gagnera rien, et les ministres y perdront ; car, pour n’être plus assiégés par un seul député, ils le seront par toute une députation. »


Ces argumens croisés d’il y a dix ans sont encore les argumens, attaques et ripostes d’aujourd’hui ; je ne vois pas qu’on y ait, depuis lors, ajouté grand’chose. Les zélateurs du scrutin de liste continuent à citer Gambetta, à contempler tristement « les morceaux du miroir brisé où la France ne reconnaît plus son image ; » les amis du scrutin d’arrondissement persistent à trouver que tout est bien, puisqu’ils sont là, et qu’ils sont les maîtres, que les ministres ont pour eux tant d’égards, et qu’à chaque premier janvier comme à chaque quatorze juillet, ils peuvent pointer « leurs » Mérite agricole et « leurs » palmes académiques. (C’est le petit jeu semestriel des couloirs et de la Salle des Conférences. Qui en a le plus ? — Moi, j’en ai onze. — Moi, je n’en ai que neuf ; mais vous n’avez pas de médailles de vieux ouvriers ; moi, j’en ai.) Les partisans du scrutin de liste haussent les épaules avec dédain ; ce qui n’empêche pas les bénéficiaires du scrutin d’arrondissement, — beati possidentes ! — de se frotter les mains avec joie.

Des propos tout pareils, à dix ans de distance, vont donc encore leur train ; à peine l’expression est-elle rajeunie et le ton, de part et d’autre, peut être un peu haussé. Un des propagandistes du scrutin de liste, — celui, sans contredit, qui s’est le plus soigneusement attaché à repolir et à refondre les anciens clichés en les mettant au goût du jour et en imprimant même par endroits sa marque personnelle, — M. Paul Bignon, établit ainsi le bilan en 1907 :

Inconvéniens du scrutin uninominal : ce scrutin donne plutôt la mesure de la popularité des personnes que la mesure exacte de l’opinion des circonscriptions ; il fait de l’élu, non le représentant des intérêts généraux de la nation, mais trop souvent le chargé d’affaires privées de ses électeurs ; il donne prise à la corruption, et circonscrit dans les étroites limites d’un fief la pensée et l’action de l’élu.


L’habitude de situer ses préoccupations et de localiser ses intérêts est devenue souvent pour le député une nécessité impérative, une condition d’existence. C’est ce que Gambetta caractérisait par ces deux mots : « l’assujettissement électoral. »