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du pays[1]. » Et parce qu’il s’agissait alors de théorie pure, c’était presque un devoir d’ignorer ou de dédaigner les transactions : tout ou rien ; il fallait atteindre le sommet d’un seul coup.

En reprenant aujourd’hui le même sujet, à la même place, je n’ose affirmer que j’y reviens, et bien plutôt j’avoue que je n’y reviens pas dans le même esprit, ni avec la même intention. Assurément, il reste ou il naît devant nous de belles questions dont on aimerait disserter : par exemple, de la « progressivité » du suffrage universel ; de la conciliation de la loi du nombre avec la liberté ; de la compatibilité de la démocratie avec le régime parlementaire. Ces questions-là, non seulement, sont belles ; elles ont leur importance, qui ne saurait être niée ; mais l’heure n’est plus à la philosophie, elle est à la vie. Les circonstances exigent qu’on en arrive, et qu’on en arrive vite, aux applications pratiques. Il s’agit maintenant de savoir, et de savoir tout de suite, non point comment s’organisera parfaitement le suffrage universel, mais comment et quand nous commencerons à l’organiser ; mieux encore que de le savoir, il s’agit de le faire. La réforme électorale est désormais inévitable, elle est certaine, elle est prochaine : ce n’est plus de l’avenir vague, c’est déjà du présent, et du plus positif ; ce n’est plus à la théorie d’indiquer le but, c’est à la loi d’édicter le moyen.


I

Posons très hardiment en principe et en fait que la réforme électorale est désormais inévitable. Elle l’était depuis longtemps : quiconque observe avec attention la marche des choses savait qu’elles allaient en ce sens ; mais, de l’avis unanime, pour ceux mêmes qui n’observent guère, qui n’apportent aux affaires publiques qu’une attention intermittente, elle l’est surtout depuis le 22 novembre 1906. C’est le 22 novembre dernier que les deux Chambres, par un acte presque simultané qui rappelle ce qu’on nomme, je crois, aux États-Unis, les « résolutions conjointes, » d’un commun cœur, d’une commune volonté, et d’un geste rapide, élevaient l’indemnité parlementaire de 9 000 à 15 000 francs.

  1. Voyez dans la Revue, du 1er juillet 1895 au 1er décembre 1896, nos huit articles sur l’Organisation du suffrage universel, recueillis ensuite en volume à la librairie Firmin-Didot, sous le titre général de la Crise de l’État moderne, 1897.