Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire infiniment plus beau ! Le soleil en est le grand metteur en scène, le soleil déclinant, dont les rayons obliques, traversant les atmosphères poussiéreuses et vues par transparence, colore chaudement et discrètement à la fois tout ce qui se trouve sur son passage, — comme un roi distribue des faveurs et la gloire. Nous le voyons passer là-bas, du côté des jets d’eau, des marchandes de frivolités, de la foule aux belles toilettes, enflammant tout de son regard. A sa vue tout change, tout grandit, tout se fond dans une apothéose. Ce ne sont pas des brimborions qui pendent à l’étalage, mais des gages d’amour. Ce ne sont pas des badauds qui tournent autour des bassins, mais des demoiselles élues aux destinées immortelles, attendant des cygnes et des Dieux. Ici, tout près, les groupes végètent dans l’ombre. Mais voici que par une sorte d’œil-de-bœuf, ménagé dans l’architecture du feuillage, le soleil envoie un de ses rayons en reconnaissance. Aussitôt, tout flamboie. L’arbre effondré sous le poids des parasites d’en bas et étêté par la foudre, ouvrant ses bras courts et tout penché en avant, reçoit ce rayon en plein cœur. Le rayon touche aussi le théâtre forain, le ventre du Polichinelle qui y culbute, va fouiller les masses épaisses du feuillage, va réveiller un vieux buste de marbre qui dormait sur son haut socle et, frisant tout autour de lui les feuilles, lui compose une éphémère auréole ; il tire de l’obscurité les têtes écarlates des fleurs des massifs ; il distribue encore avant de se retirer quelques faveurs aux lierres qui grimpent et aux aristoloches qui retombent, crible les profondeurs secrètes du parc, et après avoir teinté de blond vénitien les chignons et les cheveux fous, décrit, autour des têtes rieuses des spectatrices, sur l’ombre azurescente des jets d’eau ou smaragdine des futaies, le nimbe d’or des parasols…

Et maintenant, qu’a pour nous plaire l’art de Chardin ? Vous voyez ici, au-dessus de ces Marionnettes de Frago et sous le n° 71 une grande nature morte représentant divers instrumens d’art ou de mathématiques, groupés autour d’un Mercure de Pigalle. Ce tableau, ou un autre tout semblable, et qui ne devait pas être inférieur, passe pour avoir été cédé à un brocanteur en échange d’une planche, par un savetier qui s’en servait pour se défendre les pieds du froid dans son échoppe. Comment répond-il si bien aujourd’hui à notre sentiment d’art ? C’est qu’aujourd’hui, nous ne demandons pas à un artiste, pour