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fois, ce n’est pas notre brave peuple allemand qui a commis cet acte monstrueux. Les meurtriers, ce sont des hommes qui méprisent, tournent en dérision et bafouent le Christ, le christianisme, l’Eglise, devant le peuple. »

Ayant ainsi, devant le cercueil même des victimes, rendu en faveur du pauvre peuple une ordonnance de non-lieu, il avait, quelques jours après, au congrès catholique de Mayence, premier en date de tous les congrès catholiques d’outre-Rhin, épanché son cœur de prêtre dans un admirable toast à la pauvreté et à ses victimes ; et puis, à la fin de novembre, à la cathédrale de Mayence, ses prédications d’Avent sur la théorie catholique du droit de propriété et sur les devoirs de la charité chrétienne avaient appelé la vieille théologie thomiste à la rescousse des revendications populaires les plus modernes.

Quelque génie de précurseur qu’il révélât déjà, le Ketteler de 1848 s’arrêtait à l’exposé de la doctrine ; il n’entrait pas encore dans les voies de l’action sociale. « Voyez, mes frères, disait-il au terme d’un de ses audacieux sermons, voyez comme le Christ répond à tous ceux qui veulent devenir riches par un partage des biens terrestres, ou qui veulent, par quelque moyen purement extérieur, améliorer la situation sociale. Lui aussi, il veut un juste partage des biens, mais non par la force, il le veut par la réforme intérieure de notre cœur. » Jamais Ketteler ne s’écartera de cette idée, que les bonnes volontés sont les indispensables ouvrières du bien social ; que l’amélioration de chacun de nous est nécessaire pour le bonheur de tous, que la prospérité commune s’achète par les mortifications individuelles ; que la réalisation de la justice sociale, forme terrestre de ce règne de Dieu qu’invoque la prière, doit être amenée par le labeur personnel des consciences chrétiennes ; et que ces consciences, ainsi, doivent en retirer un mérite et un honneur.

Il y a des confiances qui honorent l’homme. De 1850 à 1860, les missionnaires jésuites qui sillonnèrent toute l’Allemagne dessinaient à leur tour, comme Ketteler, le rêve d’une société guérie par le pieux effort des âmes ; mais en même temps, en inaugurant çà et là des prédications pour les diverses classes et pour les diverses professions, les Jésuites faisaient pénétrer le christianisme dans la réalité vivante des rapports terrestres ; orateurs et confesseurs, ils aspiraient à plus et à mieux qu’à être les apôtres et les garans d’un certain « ordre public, » produit