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se préparer, en même temps, le congrès catholique de Francfort, où la question ouvrière, effleurée déjà dans quelques écrits catholiques, allait être définitivement soulevée.


Qui pourrait ne pas voir, s’écriait Thissen, curé catholique de Francfort, qu’il y a autour de nous une classe de population dont la situation mérite à un haut degré noire sympathie ? Je parle de la grande masse des artisans et des travailleurs, qui présentement soutiennent une dure lutte pour la vie, et qui, à la différence de toutes les autres classes de la société, au milieu des grandioses progrès de l’industrie, regardent sans consolation dans l’avenir. 70 à 80 pour 100 de la population appartiennent à celle classe ; beaucoup parmi eux, après une vie de misère et de faim, n’ont que la perspective d’un lit d’hôpital pour passer dans l’éternité. Ici se montre la banqueroute de l’humanité séparée du christianisme : bien loin d’estimer l’homme dans le travailleur, elle ne le considère que comme une machine, elle le traite, même, plus mal qu’une machine sans vie ; car pour une machine, chaque année, on calcule l’usure, mais quant à l’usure des forces humaines dans le travailleur, on n’y pense point. Notre mission, ici, est de mettre en acte l’amour chrétien.


Déférant à l’appel de Thissen et à la proposition du doyen Heinrich de Mayence, prêtres et laïques, en septembre 1863, prirent une résolution, « recommandant instamment aux catholiques de s’occuper de l’étude de la grande question sociale, qui, certainement, ne peut être résolue qu’à la lumière et par l’esprit du christianisme. » Peu de jours après, à l’assemblée des théologiens réunis à Munich, Doellinger déposait une motion pour que le clergé « s’occupât plus à fond de la question sociale. »

Une plume d’évêque, tout de suite, se mit à la besogne pour répondre à ces urgens désirs : c’était celle de Guillaume-Emmanuel de Ketteler, évêque de Mayence[1].

Lorsqu’en septembre 1848 l’émeute francfortoise avait coûté la vie au prince Auerswald et au général Lichnowsky, Ketteler, dans l’oraison funèbre qu’il avait prononcée sur leur tombe, avait tenu à décharger le pauvre peuple allemand de toute responsabilité. « J’ai consacré ma vie au service des pauvres, avait-il dit, et plus j’ai appris à les connaître, plus j’ai appris à les aimer. Je sais quelles grandes et nobles aptitudes notre peuple allemand a reçues de Dieu… Non, je le proclame encore une

  1. Nous consacrerons prochainement à l’œuvre de Ketteler, dans la collection de la Pensée chrétienne (Paris, Bloud), un volume où l’on pourra suivre la filière de ses idées et de ses écrits.